Le virus d’Epstein-Barr sous pression

Le virus d’Epstein-Barr (ou EBV) peut, chez certaines personnes, induire un cancer en déjouant leur système immunitaire. Deux équipes Inserm ont développé un modèle cellulaire permettant d’identifier des molécules thérapeutiques ciblant les mécanismes de ce camouflage mis en jeu par le virus. Autant dire que ce dernier a du souci à se faire.

© CDC/Dr. Paul M. Feorino Cellules leucémiques contenant des virus d’Epstein-Barr.

Un espoir de traitement pour les cancers liés au virus d’Epstein-Barr (EBV) : telle est la voie ouverte par les travaux de deux équipes* de l’Inserm. Elles ont en effet découvert un moyen d’induire la reconnaissance des cellules tumorales infectées par le virus d’EBV par le système immunitaire. 

Ce virus extrêmement répandu dans la population générale peut persister plusieurs années à l’état latent. Chez l’enfant, l’infection est le plus souvent imperceptible lorsqu’elle survient. En revanche, chez l’adolescent et l’adulte, le virus peut déclencher une mononucléose infectieuse, voire des tumeurs lymphoïdes ou épithéliales. « Le système immunitaire contrôle généralement ce phénomène, mais sous l’influence de divers facteurs, notamment une immunodépression chez les personnes infectée par le VIH ou qui ont reçu une greffe, l’EBV peut provoquer le développement de cancers », expliquent les chercheurs. 

Un domaine à cibler

Le développement des cancers liés à l’EBV est en partie dû à l’incapacité du système immunitaire à reconnaître les lymphocytes B infectés et à les éliminer. En effet, le virus à l’état latent produit une protéine, EBNA1, qui a particularité d’être « furtive ». Cette protéine est essentielle au maintien du génome viral dans les cellules de l’hôte lors de leurs divisions. 

La furtivité de la protéine EBNA1 est due à un des « domaines » qui la compose, le domaine GAr. Il empêche en effet les ribosomes, les usines de production des protéines, de produire des peptides immunogènes issus de cette protéine. Ainsi, les cellules infectées ne présentent pas (ou seulement très peu) de peptides antigéniques à leur surface : cela les rend « invisibles » au système immunitaire. 

Un modèle de criblage au point

Forts de ces observations, les chercheurs ont entrepris d’identifier des molécules capables de bloquer l’action du domaine GAr, pour restaurer la production de peptides antigéniques issus de la protéine EBNA1. Dans ce but, ils ont développé un modèle permettant de cribler un grand nombre de molécules potentiellement thérapeutiques. Les chercheurs ont choisi de travailler chez la levure : ils ont modifié le patrimoine génétique de levures de sorte à leur faire prendre une couleur différente en cas d’activation ou d’inhibition de l’activité des ribosomes par le domaine GAr. Grâce à ce modèle, ils ont ensuite criblé des banques de composés et identifié une substance qui bloque efficacement l’action du domaine : la doxorubicine, un médicament déjà utilisé en cancérologie. L’activité de la molécule a ensuite été confirmée sur des cellules de mammifères. 

« La doxorubicine est efficace dans ce contexte, mais elle fortement toxique pour l’ADN de nos cellules. Maintenant que nous avons développé ce modèle de criblage intégré, nous allons pouvoir tester de nombreuses autres molécules, dans le but d’en trouver une autre, spécifique et mieux tolérée, expliquent les chercheurs. Le bénéfice devrait être majeur pour les patients atteints de cancers liés à l’EBV, en représentant une alternative aux chimiothérapies agressives. En outre, un tel traitement, s’il est bien toléré, pourrait être utilisé en prévention chez des patients immunodéprimés infectés par l’EBV, pour éviter l’apparition d’une tumeur », concluent-ils les chercheuses. 

Note

*les équipes de Marc Blondel (unité 1078 Inserm/Université de Bretagne occidentale/Etablissement français du sang, Brest) et de Robin Fåhraeus (Inserm UMRS940, Institut de Génétique Moléculaire, Université Paris 7, Hôpital St. Louis, Paris) 

Source

C. Voisset et coll. A yeast-based assay identifies drugs that interfere with Epstein-Barr virus immune evasion. Dis Model Mech, édition en ligne du 20 février 2014