Virothérapie : pourquoi certaines tumeurs y sont sensibles et d’autres non ?

La virothérapie antitumorale consiste à infecter des cellules cancéreuses avec un virus, pour conduire à leur élimination. À Nantes, Jean-François Fonteneau et son équipe viennent de découvrir pourquoi les cellules de mésothéliome sont particulièrement sensibles à ce traitement : dans nombre d’entre elles, ils ont observé la disparition des gènes codant pour les interférons de type 1, des molécules qui possèdent des propriétés antivirales. Cette découverte ouvre la voie à un test prédictif de réponse à la virothérapie, ainsi qu’à des stratégies pour augmenter son efficacité.

La virothérapie antitumorale, également appelée immunothérapie oncolytique, consiste à infecter spécifiquement des cellules tumorales à l’aide d’un virus, pour les éliminer. Non seulement les cellules sont tuées par le virus, mais les déchets cellulaires qui en résultent stimulent le système immunitaire contre la tumeur. Cette stratégie thérapeutique a fait preuve de son efficacité dans la prise en charge de mélanomes : un médicament de virothérapie antitumorale est d’ailleurs disponible pour cette indication. L’approche est par ailleurs à l’étude pour des cancers du poumon et du côlon (adénocarcinomes), ainsi que dans un cancer de la plèvre le plus souvent lié à une exposition à l’amiante, le mésothéliome. Jean-François Fonteneau* et son équipe, en collaboration avec l’Institut Pasteur, étudient la possibilité d’utiliser le virus de la rougeole dans le traitement de ce dernier. 

Les chercheurs n’ont pas recours au virus sauvage de la rougeole, mais à une souche atténuée, utilisée pour la vaccination. Alors que les cellules saines de l’organisme résistent à l’infection, les cellules cancéreuses y sont souvent vulnérables. Depuis plusieurs années, l’équipe étudie les mécanismes impliqués dans cette sensibilité particulière des cellules tumorales. En 2015, elle a publié un premier article, montrant que les tumeurs qui sont infectées par ce virus présentent des anomalies dans la voie des interférons de type 1 (INF), un des mécanismes de l’organisme les plus importants pour lutter contre les virus. Normalement, les interférons sont massivement produits par les cellules infectées et présentent une forte activité antivirale. Ils activent l’expression de gènes qui permettent à la cellule – et ses voisines – de lutter contre l’infection. Ils stimulent également le système immunitaire. 

L ’équipe a poursuivi ce travail afin de décrire les anomalies qui affectent le fonctionnement de ce mécanisme dans les cellules de mésothéliome. Leurs résultats, qui viennent d’être publiés, montrent que la majorité des lignées sensibles à la virothérapie a perdu tous les gènes qui codent pour ces interférons (alpha et bêta). 

Une lignée de mésothéliome sur cinq dépourvue des gènes codants pour les INF

Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont étudié en détail le génome des 22 lignées cellulaires issues de patients, déjà utilisées pour leurs travaux de 2015. Quinze d’entre elles étaient sensibles au virus de la rougeole. Et parmi elles, 11 ne produisaient pas d’INF en réponse à l’infection virale. Les protéines cellulaires impliquées dans la détection du virus et l’adressage du signal d’infection dans le noyau fonctionnaient correctement. Le défaut semblait donc se situer au niveau de l’expression des gènes des INF. Les altérations chromosomiques sont fréquentes dans les cellules cancéreuses, en particulier les délétions de gènes : l’équipe a donc émis l’hypothèse que l’incapacité des cellules à produire et secréter les interférons pouvait tout simplement s’expliquer par l’absence des gènes qui les codent. Une analyse génétique a confirmé cette hypothèse pour 8 des 11 lignées étudiées. L’équipe a en outre mis en évidence que la disparition de ces gènes était liée à celle du suppresseur de tumeur CDKN2A, situé à proximité, sur le chromosome 9. La délétion du gène CDKN2A est un des événements les plus fréquents à l’origine de la transformation tumorale des cellules de la plèvre. Elle survient chez environ 75% des patients. « Cette association avait déjà été rapportée par le passé, mais elle n’avait pas été prise en compte pour expliquer la sensibilité des cellules à la virothérapie », explique Jean-François Fonteneau. 

En collaboration avec le Centre de recherche des cordeliers à Paris, l’équipe a confirmé cette découverte sur 78 lignées de mésothéliome supplémentaires : 73% avaient perdu le gène CDKN2A et 23 % les gènes codant pour les interférons de type 1. Enfin, grâce à la base de données internationale The Cancer Genome Atlas (TCGA), les chercheurs ont pu confirmer que la délétion des gènes des INF sont souvent retrouvées dans les cancers où l’absence du gène CDKN2A est elle-même fréquente. 

Jean-François Fonteneau et son équipe évaluent maintenant si l’absence des gènes des INF pourrait devenir un marqueur de sélection des patients sensibles à la virothérapie antitumorale. Ils essaient en outre d’utiliser leur découverte pour améliorer l’efficacité de cette stratégie thérapeutique : « En collaboration avec Gilles Uzé, à Montpellier, nous tentons de bloquer les récepteurs des interférons situés à la surface des cellules cancéreuses, poursuit le chercheur. L’idée est d’éviter que ces cellules qui ne produisent pas d’interférons soient stimulées par les interférons produits par d’autres cellules de l’environnement tumoral. Ces inhibiteurs permettraient aussi de rendre sensibles à la virothérapie les cellules tumorales dotées d’une voie « interféron » fonctionnelle. »

Note :
*unité 1232 Inserm/université de Nantes/université d’Angers, Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes Angers (CRCINA), équipe Mort cellulaire immunogène et thérapie du mésothéliome

Source : T. Delaunay et coll. Frequent bi-allelic deletions of type I interferon genes in mesothelioma confer sensitivity to oncolytic measles virus. J Thorac Oncol. Mai 2020. https://doi.org/10.1016/j.jtho.2019.12.128