VIH : Quand la cellule est prise à son propre piège !

Le VIH dispose d’un arsenal de stratégies terriblement efficaces pour échapper à notre système immunitaire. Une équipe de recherche Inserm a découvert que le virus était capable de se servir d’un mécanisme propre aux cellules cibles pour se propager.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°57

Lors d’une infection par le VIH, toute une batterie de réactions défensives se met en marche dans l’organisme. En première ligne, les cellules immunitaires disposent de barrières naturelles qui bloquent le virus, appelées « facteurs de restriction ». L’équipe de recherche Interactions hôte-virus dirigée par Clarisse Berlioz-Torrent et Stéphane Emiliani à l’institut Cochin à Paris s’intéresse à l’un d’entre eux : BST2, une molécule cruciale dont le rôle est d’empêcher la propagation du virus.

Gardienne et lanceuse d’alerte

Pour se répliquer, le VIH n’a d’autre choix que d’infecter un organisme, puisqu’il ne peut multiplier son génome seul. Sa cible ? Nos cellules immunitaires telles que les lymphocytes T CD4 et les macrophages. Après être entré à l’intérieur, le virus intègre son matériel génétique dans le génome de la cellule immunitaire. Cette dernière se met alors à produire des protéines virales malgré elle. Ces protéines vont ensuite former des virions : de petites vésicules bourgeonnant à la surface de la cellule. Ces virions, telles de petites billes, vont se décrocher de la cellule, en infecter de nouvelles et reproduire ce cycle viral. C’est à ce moment qu’intervient la molécule BST2 : à la surface de la cellule infectée, elle retient les virions et les empêche de se répandre dans l’organisme. « Les virions sont retenus en grappe sur la membrane par la molécule BST2, comme si elle tenait des ballons au bout d’un fil », explique Clarisse Berlioz-Torrent. Dans le même temps, BST2 prévient les autres cellules de la présence d’un virus. Elle est à la fois une gardienne et une lanceuse d’alerte.

Les virus comme le VIH évoluent génétiquement. Ainsi, la population de virus sélectionnée au fur et à mesure des mutations peut s’affranchir de certains facteurs de restriction. Le VIH est notamment capable de coder une protéine qui élimine la molécule BST2 de la surface cellulaire. Sans BST2, non seulement les virions ne sont plus retenus à la membrane et peuvent se propager, mais les cellules voisines ne sont plus alertées de la présence du pathogène. Mais comment le virus se débarrasse-t-il de BST2 ?

Détournement des mécanismes cellulaire

« En fait, le virus détourne des mécanismes cellulaires à son profit, c’est assez diabolique. Dans cette étude, nous avons justement caractérisé un nouveau rouage utilisé par le virus pour éliminer BST2 », commente Clarisse Berlioz-Torrent. Pour qu’une cellule saine fonctionne, elle doit éliminer certaines protéines de sa surface par un mécanisme d’endocytose. Pour faire simple, elle fait le ménage. Concrètement, elle avale des morceaux de sa membrane externe afin de les dégrader à l’intérieur. Ainsi, les molécules inutiles ou néfastes ancrées à la surface de la cellule disparaissent. Or, le VIH possède une protéine capable de déclencher et d’accélérer ce processus. Résultat : les molécules BST2 présentes à la surface et censées retenir le virus sont absorbées par la cellule elle-même et disparaissent... Les virions sont ainsi libérés et peuvent se propager à l’insu de la cellule. « Nous avons montré que le virus utilise cette voie pour faire disparaître le signal d’alerte donné aux autres cellules et se propager, ce qui lui confère un double avantage », détaille la directrice de recherche Inserm. Ces travaux permettent de mieux comprendre les facteurs de restriction à l’œuvre contre le VIH, mais aussi contre d’autres virus responsables de fièvres hémorragiques comme Ebola... ou des virus émergents tels le SARS-CoV‑2 et Zika.


Clarisse Berlioz-Torrent et Stéphane Emiliani sont coresponsables de l’équipe Interaction hôte-virus à l’Institut Cochin (unité 1016 Inserm/CNRS/Université Paris Cité), à Paris.


Source : D. Judith et coll. ATG5 selectively engages virus-tethered BST2/tetherin in an LC3C-associated pathway. PNAS, 8 mai 2023 ; doi : 10.1073/pans.2217451120

Auteur : L. A.

À lire aussi

[2016-09-21] INFRv4_t cd8, vih-2_IAU.jpg
Cellule infectée par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) examinée en microscopie électronique à balayage (MEB)