VIH : des réservoirs à virus redoutables

Un obstacle majeur à la guérison du sida est l’existence de cellules dans lesquelles le VIH « se cache », à l’abri des traitements antirétroviraux. Les scientifiques qui travaillent sur ces réservoirs ont longtemps cru qu’ils étaient constitués d’une catégorie spécifique de cellules immunitaires : des lymphocytes T CD4. Mais en réalité, des macrophages sont également concernés. Une nouvelle étude indique qu’ils sont peut-être même encore plus redoutables…

La littérature scientifique regorge d’articles sur les réservoirs à VIH. Il s’agit de cellules infectées par le virus du sida, qui ont intégré le génome viral dans leur propre ADN. L’infection y reste latente tant que le patient reçoit un traitement antirétroviral. Mais s’il interrompt sa thérapie, l’infection « se réveille » et redevient active en moins d’une semaine.

Ces réservoirs font l’objet d’importants travaux pour parvenir à les éliminer, jusqu’ici sans succès. Les recherches se sont focalisées sur un unique type de cellules réservoirs : les lymphocytes T CD4. Mais en 2019, l’équipe de Morgane Bomsel, directrice de recherche à l’institut Cochin à Paris, a découvert un autre type de réservoirs : les macrophages. Ces cellules immunitaires aux multiples facettes, tantôt anti-inflammatoires, tantôt réparatrices, sont retrouvées dans tous les tissus de l’organisme. Morgane Bomsel et son équipe ont mis en évidence leur rôle de réservoir à partir d’échantillons de muqueuse génitale obtenus de volontaires masculins infectés par le VIH et sous trithérapie efficace. Aujourd’hui, l’équipe confirme ce résultat et va encore plus loin en montrant comment le virus est hébergé, puis ressort de ces réservoirs qui s’avèrent potentiellement plus redoutables que les lymphocytes T CD4.

Des macrophages particuliers

En travaillant à partir du même type de tissus, les chercheurs ont réussi à purifier les macrophages réservoirs en question. Ils ont ainsi mis en évidence un sous-type de cellule qui n’avait été jamais identifié dans les muqueuses génitales : les macrophages M4. « Ces cellules sont caractérisées par l’expression d’une protéine pro-inflammatoire, S100A8, aussi appelée alarmine », décrit Morgane Bomsel.

Reconstitution 3D d'un macrophage
Un macrophage réservoir du VIH, reconstitué en 3D © Morgane Bomsel, équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse, Institut Cochin (unité Inserm 1016)

Les chercheurs ont constaté que cette protéine était nécessaire et suffisante à la réactivation de la production et de la multiplication du VIH au sein des cellules réservoirs. En modifiant les voies de production d’énergie utilisées par la cellule, elle déclenche la formation de nouveaux virus. Ces derniers sont assemblés dans des compartiments à l’intérieur du macrophage et conservés au chaud jusqu’à leur expulsion hors de la cellule. « Ce système de compartiments n’existe pas dans les lymphocytes T CD4 où les virus produits sont retrouvés à l’état libre dans la cellule. Nous allons nous intéresser de plus près à ces compartiments pour comprendre leur dynamique et identifier les facteurs qui déclenchent la libération des virus qu’ils contiennent. Il s’agit d’informations cruciales pour être en mesure de freiner le phénomène », insiste Morgane Bomsel.

De plus, la protéine S100A8/alarmine est régulièrement secrétée. « Ce point suggère qu’il pourrait se produire une libération de virus, à bas bruit mais permanente, dans la muqueuse génitale, poursuit-elle. Notre hypothèse reste à vérifier, mais nous voyons les choses comme cela : alors que les lymphocytes T CD4 ne libèrent aucun virus dès lors que le patient est sous trithérapie, les macrophages pourraient être une source continue de nouveaux virus libérés dans l’organisme des patients. »

Reste aussi à vérifier si les macrophages qui se trouvent dans d’autres tissus ou organes peuvent également jouer ce rôle néfaste. En attendant, « nous ne pouvons plus ignorer l’influence de ces réservoirs et nous ne pourrons pas nous passer de thérapies qui les ciblent directement si l’on veut un jour réussir à guérir définitivement les patients », conclut la chercheuse.


Morgane Bomsel est responsable de l’équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse à l’institut Cochin à Paris (unité 1016 Inserm/CNRS/Université Paris Cité)


Source : F Real et coll. S100A8-mediated metabolic adaptation controls HIV‑1 persistence in macrophages in vivo. Nat Commun du 11 octobre 2022. DOI : 10.1038/s41467-022–33401‑x

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