Vers de nouveaux médicaments anti-tumoraux ?

De nombreux cancers résistent aux chimiothérapies actuellement disponibles. Une équipe Inserm a obtenu in vitro des résultats encourageants avec une nouvelle classe de molécules, au mécanisme d’action radicalement différent de celui des anti-tumoraux classiques.

La plupart des thérapies anticancéreuses actuelles agissent en induisant l’élimination des cellules tumorales par apoptose, directement ou non. Or, dans de nombreuses tumeurs, les cellules cancéreuses finissent par acquérir des mutations qui leur permettent de résister à ce mode d’action. « Il fallait donc trouver des molécules tuant les cellules cancéreuses par d’autres voies », souligne Christian Gaiddon, responsable de l’équipe de recherche Voies de signalisation du stress cellulaire et pathologies, à Strasbourg*. Depuis quelques années déjà, des complexes comprenant un atome métallique (or, fer, ruthénium, cuivre...) ont montré une activité cytotoxique sur des cellules cancéreuses, in vitro. « Ces molécules représentent un espoir, à condition de mieux connaître leurs mécanismes d’action qui restent énigmatiques », insiste le chercheur. 

L’équipe strasbourgeoise s’est associée au département de chimie de l’université de Singapour pour explorer l’effet de complexes moléculaires de ce type, à base de ruthénium. Il s’agissait de créer de nombreux variants à partir d’un même squelette de base, puis de tester pour chacun d’eux la relation entre structure chimique et toxicité. Cette évaluation a été réalisée in vitro, sur différentes lignées de cellules de cancer de l’estomac et du côlon. Deux composés (RAS-1H et RAS-1T), différant légèrement de par le type de radical chimique branché sur leur cœur de ruthénium, ont été plus particulièrement étudiés. 

Il s’est avéré que ces deux molécules induisent la mort des cellules tumorales, y compris dans les lignées résistantes à l’apoptose. Les chercheurs ont montré qu’elles agissent en activant une autre voie de mort cellulaire programmée, celle du stress du réticulum endoplasmique. Qui plus est, ces deux composés, bien que chimiquement très proches, n’induisent pas ce stress de la même manière. L’un déclenche la production de dérivés réactifs de l’oxygène (radicaux libres), l’autre non. 

Des résultats encore très fondamentaux

Reste que la voie du stress du réticulum endoplasmique n’est pas l’apanage des cellules cancéreuses. Dès lors, comment s’assurer qu’une molécule de ce type, administrée à un patient, irait détruire les cellules tumorales sans s’attaquer aux cellules saines de l’organisme ? Même si ces recherches sont encore trop préliminaires pour aborder la question du ciblage, Christian Gaiddon avance plusieurs arguments. D’une part le ruthénium est chimiquement proche du fer, dont les cellules cancéreuses sont particulièrement avides. D’autre part l’équipe a démontré au préalable que, in vitro, le ruthénium est plus toxique sur les cellules cancéreuses que sur les cellules saines. Enfin, ces composés sont globalement moins toxiques in vivo, sur l’animal, que les médicaments à base de platine actuellement utilisés en clinique. « Il reste beaucoup de questions : pourquoi cette apparente spécificité vis-à-vis des cellules cancéreuses ? Nous en sommes au stade des hypothèses », affirme le chercheur. 

Quoi qu’il en soit, l’équipe a déjà déposé des brevets sur ces molécules et le travail se poursuit désormais dans trois directions. Avec l’aide des chimistes, le laboratoire va continuer à créer d’autres variants moléculaires. En ce qui concerne RAS-1H et RAS-1T, il s’agit maintenant de passer au stade de la validation de l’effet thérapeutique in vivochez l’animal. Enfin, l’équipe veut caractériser plus finement le mode d’action de ces composés. A cette fin, les chercheurs ont par exemple entamé une collaboration avec l’Institut Charles Sadron (CNRS), un laboratoire strasbourgeois spécialisé dans le passage des molécules à travers la membrane cellulaire. 

Aussi encourageants soient-ils, ces premiers résultats demeurent très fondamentaux. « Nous ne commencerons à intéresser les laboratoires pharmaceutiques que lorsque nous aurons obtenu des résultats probants sur des modèles animaux », prévient Christian Gaiddon. 

Note

* Unité 113 Inserm/Université de Strasbourg 

Source

Chaow MJ et coll., Structural tuning of organoruthenium compounds allows oxidative switch to control ER stress pathways and bypass multidrug resistance, Chemical Science (2016), DOI : 10.1039/c6sc00268d