Une approche vaccinale contre l’inflammation chronique intestinale

Certains émulsifiants alimentaires induisent une inflammation intestinale chronique, également retrouvée dans différentes maladies métaboliques. Ils agissent en créant des déséquilibres du microbiote intestinal, qui favorisent la prolifération de bactéries mobiles et pro-inflammatoires. Une équipe Inserm de l’institut Cochin, à Paris, est parvenue à protéger des souris de ces mécanismes délétères par une approche originale : l’immunisation contre une protéine nécessaire à la mobilité des bactéries du microbiote incriminées.

Les émulsifiants alimentaires sont des additifs utilisés par l’industrie agroalimentaire pour améliorer la texture de certains produits transformés. Parmi eux, on trouve la carboxyméthylcellulose (identifiable sous le nom de code E466), qui sert d’épaississant et de stabilisant, ou encore le polysorbate 80 (P80), qui empêche la formation de dépôts en facilitant le mélange des ingrédients. Ces substances peuvent être présentes dans des produits laitiers, des soupes, des sauces, des crèmes dessert… Très utiles pour les industriels, ces molécules posent toutefois un problème de santé publique : différentes études, dont plusieurs conduites par Benoît Chassaing, chercheur Inserm à l’institut Cochin à Paris, ont montré que la consommation de ces deux émulsifiants perturbe la composition du microbiote intestinal et favorise l’inflammation chronique de l’intestin, un phénomène associé à des anomalies métaboliques. « Ces substances modifient l’équilibre entre les populations de micro-organismes naturellement présentes dans le microbiote intestinal et conduisent à un excès de bactéries pro-inflammatoires », explique le chercheur.

Des bactéries mobiles 

Ces dernières ont la particularité d’être équipées de flagelles, des petits filaments dynamiques qui les rendent mobiles et aptes à envahir la couche de mucus qui recouvre la paroi de l’intestin. Or celle-ci a justement pour fonction de protéger le reste de l’organisme des agents présents dans le tube digestif en empêchant leur passage vers la circulation sanguine. « L’invasion du mucus par certaines bactéries du microbiote intestinal entraîne une inflammation non seulement locale mais aussi systémique, c’est-à-dire étendue au reste de l’organisme. L’ensemble de ces mécanismes participe à la survenue de différentes maladies comme l’obésité, le diabète de type 2 ou les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Avec nos études fondées sur l’utilisation d’émulsifiants, nous voulons progresser dans la compréhension des interactions entre le microbiote et son hôte, et celle des dérèglements qui conduisent à ces situations pathologiques, explique-t-il. L’objectif est de réussir à limiter ce phénomène d’invasion, pour prévenir ses conséquences. »

Un vaccin anti-flagelline

Pour y parvenir, Benoît Chassaing et son équipe ont supposé qu’en bloquant les flagelles des bactéries qui en possèdent, ces dernières perdraient leur capacité à envahir le mucus intestinal et seraient dès lors moins inflammatoires pour l’organisme. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont vacciné des rongeurs contre la flagelline, la protéine constitutive des flagelles. Concrètement, les animaux ont reçu des doses répétées de cette protéine purifiée, injectées directement dans leur abdomen. « Ces injections provoquent la production d’anticorps anti-flagelline qui bloquent la synthèse des flagelles bactériens », clarifie Benoît Chassaing. Les rongeurs ont ensuite consommé des émulsifiants, puis les chercheurs ont analysé leur microbiote. Si des déséquilibres entre les différentes populations de micro-organismes s’observaient encore chez les animaux vaccinés, la quantité de bactéries équipées de flagelles était considérablement diminuée, voire nulle au niveau du mucus intestinal. En conséquence, le niveau d’inflammation locale était réduit chez ces souris, par rapport à celui mesuré chez des animaux non immunisés qui avaient également reçu les émulsifiants.

« Cette approche vaccinale protège donc bien de l’invasion bactérienne du mucus intestinal et de l’inflammation associée. Notre idée n’est évidemment pas de vacciner des individus contre les effets des additifs alimentaires, mais la piste de l’administration de flagelline recombinante semble intéressante pour lutter contre l’inflammation intestinale chronique, précise le chercheur. Notre travail vise en effet à progresser dans les approches préventives contre les mécanismes d’inflammation provoqués par des changements du microbiote intestinal, quelle qu’en soit la cause, pour réduire le risque de différentes maladies métaboliques. »


Benoît Chassaing est responsable de l’équipe Interactions microbiote/mucus dans les maladies inflammatoires chroniques à l’institut Cochin à Paris (unité 1016 Inserm/CNRS/Université Paris Cité).


Source : M. Kordahi et coll. Vaccination against microbiota motility protects mice from the detrimental impact of dietary emulsifier consumption. PLoS Biology du 19 septembre 2023 ; doi : 10.1371/journal.pbio.3002289 

Auteur : A. R.

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Low-temperature electron micrograph of a cluster of E. coli bacteria, magnified 10,000 times. Each individual bacterium is oblong shaped © Photo by Eric Erbe, digital colorization by Christopher Pooley, both of USDA, ARS, EMU. - This image was released by the Agricultural Research Service, the research agency of the United States Department of Agriculture, with the ID K11077-1