Toxicologie : Le triclosan cumule les vices

Biocide que l’on retrouve dans de nombreux produits, le triclosan n’est décidément pas bon pour la santé. Alors qu’il est déjà soupçonné d’être un perturbateur endocrinien, de récentes recherches suggèrent qu’il pourrait affecter le placenta.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°59

L’étau se resserre sur le triclosan. En 2021 déjà, une étude épidémiologique menée par des équipes Inserm avait montré que ce biocide, que l’on retrouve dans certains produits cosmétiques et de soins et auquel nous sommes tous exposés, était associé à des modifications en lien avec l’expression des gènes au niveau du placenta, un organe qui régule les échanges entre la mère et le fœtus. « Nous avions mis en évidence que le triclosan était associé à une plus grande méthylation de l’ADN placentaire », rappelle Claire Philippat, chercheuse Inserm à l’Institut pour l’avancée des biosciences de Grenoble, qui avait mené ces travaux. En d’autres termes, plus les futures mères étaient exposées au triclosan, plus certains sites de l’ADN du placenta étaient sujets à de petites modifications au niveau des sites associés à l’expression de certains gènes.

« Il fallait répliquer ces résultats », poursuit-elle. Et c’est l’un des objectifs de l’étude qu’elle a dirigée avec Johanna Lepeule. En mieux ! Notamment grâce à une nouvelle cohorte, baptisée Sépages. « Avec cette cohorte, nous sommes plus précis sur la façon dont nous estimons l’exposition au triclosan. Lors de l’étude précédente, avec la cohorte Eden, nous disposions d’un échantillon d’urine par femme. Or le triclosan est un composé dont la demi-vie est assez courte, ce qui signifie qu’il est rapidement dégradé par l’organisme. » Un meilleur échantillonnage était nécessaire. « Avec Sépages, nous disposons de 42 échantillons urinaires pour chacune des 400 femmes de l’étude. » Ce qui a permis de mieux estimer l’exposition au triclosan au cours de la grossesse.

Une nouvelle pièce du puzzle

Les analyses ont permis de confirmer une partie des observations qui avaient été faites en 2021. Pour 18 gènes, il a en effet été retrouvé une association positive entre la méthylation de l’ADN et l’exposition au triclosan. « Parmi eux, certains sont des gènes dits “à empreinte”, c’est-à-dire qu’ils sont impliqués dans le développement fœtal », rapporte la chercheuse. L’analyse montre en outre que les effets pourraient être différents suivant le sexe du fœtus. Quand ce dernier est féminin, des associations avec un plus grand nombre de gènes ont été observées. Malgré ces résultats probants, l’interprétation n’est pas triviale. « C’est une pièce du puzzle, il nous faut maintenant les autres, illustre Claire Philippat. La méthylation de l’ADN est l’un des mécanismes qui peut influencer l’expression des gènes, mais il n’est pas possible de conclure, sur la base de nos résultats, que la méthylation observée réduit l’expression des gènes. Pour cela nous devons aller plus loin et nous intéresser à l’ARN. »

Cela tombe bien, c’est dans cette direction que l’équipe de recherche s’engage. « Nous allons vérifier si l’hyperméthylation observée avec l’exposition au triclosan au niveau de l’ADN se retranscrit par une modification de l’expression des gènes, que l’on observera au niveau de l’ARN. » Par ailleurs, une analyse statistique, dite « analyse de médiation », pourrait permettre de comprendre l’effet potentiel sur la santé de l’enfant. L’équipe a également noué des partenariats pour étudier les mécanismes d’action sur des modèles cellulaires et animaux. Déjà suspecté d’être un perturbateur endocrinien, le triclosan pourrait bien voir son tableau toxicologique s’aggraver encore.


Claire Philippat et Johanna Lepeule sont chercheuses à l’Institut pour l’avancée des biosciences (unité Inserm 1209/Université Grenoble Alpes/CNRS), dans l’équipe Épidémiologie environnementale appliquée au développement et à la santé respiratoire.


Source : P. Jedynak et al. Prenatal exposure to triclosan assessed in multiple urine samples and placental DNA methylation. Environ Pollut., 15 octobre 2023 ; doi : 10.1016/j.envpol.2023.122197

Auteur : B. S.

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