Substances psychédéliques : une révolution pour traiter la dépression ?

LSD, psilocybine, ayahuasca… Des essais cliniques indiquent que ces substances psychédéliques peuvent avoir un intérêt dans la prise en charge de maladies telles que l’addiction à l’alcool, le syndrome de stress post-traumatique ou encore la dépression. L’utilisation de substances psychédéliques marquent-elles l’entrée dans une nouvelle ère thérapeutique ? Seront-elles acceptées par les patients et les soignants ?

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°60

Les substances psychédéliques, synthétiques ou extraites de végétaux, sont interdites à la consommation. En cause : leurs effets psychoactifs qui peuvent entraîner des hallucinations, une perte de la notion du temps et de l’espace ou de repères par rapport à son corps et à son environnement. Mais derrière ces manifestations potentiellement inquiétantes se cachent des effets thérapeutiques contre certaines maladies psychiatriques en cas d’administration dans des conditions très contrôlées, à l’hôpital avec un accompagnement psychologique. Plusieurs essais cliniques passés ou en cours montrent un bénéfice de ces substances contre l’addiction à l’alcool, le syndrome de stress post-traumatique ou encore la dépression. Dans cette dernière indication notamment, les besoins thérapeutiques sont énormes. Environ une personne sur cinq y est confrontée au cours de sa vie et près d’un tiers des patients ne répond pas complètement voire pas du tout aux antidépresseurs conventionnels. Alors, les substances psychédéliques constituent-elles une révolution pour traiter la dépression ? Trois spécialistes nous livrent leur point de vue.

Le point de vue de David Dupuis : Le regard des professionnels de santé se modifie

Après avoir été longtemps diabolisés, les psychédéliques reviennent sur le devant de la scène médicale. À partir des années 1960, ces substances ont fait l’objet d’un discours stigmatisant appuyé sur une panique morale qui a conduit à leur interdiction à l’échelle internationale en 1971 dans le cadre d’une convention rédigée sous l’égide des Nations unies. Cette décision a mis un coup d’arrêt à la recherche, mais leur usage a toutefois continué à se diffuser, notamment dans les milieux hippies puis ceux de la musique électronique. Ces pratiques, devenues illégales, ont dès lors été associées à la toxicomanie, même si les psychédéliques sont connus pour être dénués de propriétés addictives.

Puis, l’émergence à partir des années 1990 du « tourisme chamanique » impliquant l’usage de psychédéliques en Amérique latine a constitué une nouvelle étape de la diffusion de ces substances chez les Occidentaux, alors même que certains États, dont la France, ont qualifié cette pratique de « dérive sectaire ». Au cours de cette période, les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la Suisse ont, pour leur part, repris les recherches cliniques sur ces substances dans différentes indications. Les résultats obtenus, très encourageants, modifient rapidement le regard des professionnels de santé comme on peut l’observer dans les congrès français de psychiatrie qui dédient désormais de nombreuses interventions aux psychédéliques.

Alors que nombre d’observateurs estiment que ces substances constituent la prochaine génération de traitements en santé mentale, la France s’attache désormais à rattraper son retard en débutant des essais cliniques dédiés. Un véritable intérêt est en train d’émerger en raison des besoins importants de nouveaux traitements psychiatriques, même si les défis politiques, économiques, éthiques et cliniques de la médicalisation des psychédéliques restent nombreux.

David Dupuis est anthropologue à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (unité 997 Inserm/CNRS).

Le point de vue d’Alain Gardier : Il ne s’agit pas de produits miracles

Il y a un retour en force de la recherche sur les effets potentiellement thérapeutiques des psychédéliques dans les troubles dépressifs caractérisés. Après la mise en évidence entre 2000 et 2010 de l’effet antidépresseur de la kétamine déjà utilisée en anesthésie et en analgésie, des travaux récents ont souligné l’efficacité antidépressive rapide de la psilocybine. Cependant, son utilisation en clinique doit passer par une meilleure compréhension de son mécanisme d’action porté par l’activation d’un des récepteurs de la sérotonine. Les hallucinations et distorsions du réel favorisent-elles l’effet thérapeutique ou sont-elles au contraire gênantes ? Quel est l’effet sur les connexions neuronales et entre régions cérébrales ? La réponse à ces questions précisera le mode d’administration chez les patients résistants aux antidépresseurs conventionnels.

En attendant, l’induction d’effets de type paranoïa, euphorie, ou anxiété, une à quatre heures après l’administration, nécessite de prendre ce traitement dans un cadre non anxiogène avec un accompagnement psychothérapeutique systématique pour les canaliser. Cela nécessitera une organisation particulière des services hospitaliers et la formation des soignants qui pourraient freiner leur utilisation en routine. En outre, il ne s’agit pas de produits miracles. On s’attend à ce que les psychédéliques ne soulagent qu’une fraction de patients déprimés. Il va falloir identifier les sous-groupes de malades éligibles, peut-être en fonction de comorbidités : dépression plus anxiété ou obésité, neuro-inflammation ou cancer… Enfin, il y a d’autres pistes intéressantes pour la dépression résistante : la stimulation du nerf vague ou encore la stimulation cérébrale profonde ou magnétique transcrânienne pour lesquelles les hôpitaux sont en train de s’équiper.

Alain Gardier est professeur de pharmacologie à l’université Paris-Saclay et codirecteur de l’équipe Moods (unité 1018 Inserm/Université Paris-Saclay).

Le point de vue de Lucie Berkovitch : D’excellents résultats qu’il reste à confirmer

Les recherches sur les psychédéliques s’accélèrent depuis une quinzaine d’années. Il y a de plus en plus d’études qui évaluent le rapport bénéfice/risque avec des publications dans de très grandes revues de médecine. Et ces travaux sont désormais contrôlés, comparant la molécule active à un placebo ou différentes doses de produit entre elles, toujours en association avec une psychothérapie. Ils concernent aujourd’hui essentiellement la psilocybine avec une première étude dans la dépression datant de 2016 qui a montré une efficacité immédiate chez une majorité de patients. Cette amélioration survient dès la première prise et persiste généralement pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Certains patients semblent même entrer durablement en rémission avec les quelques années de recul dont on dispose. Cela contraste avec les antidépresseurs classiques dont le délai d’action est de quatre à six semaines et qu’il faut prendre tous les jours pour qu’ils soient efficaces. Finalement, d’après l’ensemble des données disponibles sur la psilocybine, on observe une disparition des symptômes chez 30 à 70 % des sujets en dépression, notamment résistante, ce qui est considérable dans cette population.

Toutefois, ces résultats doivent être confirmés par des études à plus grande échelle et comparés aux alternatives thérapeutiques comme les antidépresseurs classiques ou la stimulation cérébrale par exemple. Nous travaillons activement à la mise en place d’études dans la dépression à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, mais ce n’est pas simple ! Il faut pouvoir obtenir des produits dont la formule est stable et vérifiée et franchir de nombreuses étapes administratives. Nous espérons que les essais pourront démarrer dans les mois à venir. Et il est probable que dans quelques années, ces molécules feront partie des options thérapeutiques proposées à l’hôpital.

Lucie Berkovitch est psychiatre et chercheuse en neurosciences à l’hôpital Sainte-Anne, rattachée à l’unité Neuroimagerie cognitive (unité 992 Inserm/CEA/Université Paris-Saclay).

Propos recueillis par A. R.

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