SEMA3C : les sémaphorines, une piste prometteuse pour le diagnostic et le des maladies rénales

À l’hôpital Tenon de Paris, Christos Chatziantoniou dirige un laboratoire de recherche placé sous la tutelle de l’Inserm et de Sorbonne Université, dédié à la compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans l’apparition des maladies rénales fréquentes comme rares, afin de mieux les anticiper, les diagnostiquer et les soigner.

Pour InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, il nous présente les objectifs de son dernier projet dédié à la sémaphorine SEMA3C, une protéine pouvant représenter un intérêt pour déceler une insuffisance rénale, une pathologie sévère qui affecte la fonction de filtrage de nos reins, et qui prête son nom à ces travaux en partie financés par l’Agence nationale de la recherche.

Vous avez réalisé une grande partie de votre carrière à l’Inserm… Pouvez-vous nous la raconter en quelques mots ?

Christos Chatziantoniou : Originaire de Grèce, j’ai d’abord obtenuune maîtrise de chimie à l’Université de Thessalonique en 1981. Passionné par la langue et la culture française, j’ai décidé de venir y poursuivre mes études et ai obtenu un diplôme de Chimie-Physique, puis un doctorat en Biochimie à l’université Paris-Sud en 1987. Celui-ci était dédié au métabolisme des prostaglandines, une hormone impliquée dans de nombreuses réactions biologiques de notre corps.

Comme beaucoup de jeunes chercheurs, je suis ensuite parti aux États-Unis, plus précisément à l’Université de Caroline du Nord, pour y réaliser mon post-doctorat, et j’y suis resté jusqu’en 1993. Je travaillais à l’époque sur la compréhension des mécanismes mis en cause dans la résistance vasculaire rénale, et qui induisent de l’hypertension. Cette année-là, j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’Inserm, déjà à l’hôpital Tenon, d’abord en tant que chargé puis directeur de recherches dans le laboratoire dirigé à l’époque par le professeur Pierre Ronco. 

Depuis 2019, j’ai l’honneur de diriger cette même unité de recherche entièrement dédiée à l’étude des maladies rénales, en partant des mécanismes moléculaires jusqu’à la recherche de solutions thérapeutiques personnalisées. Notre collectif, constitué de près de 75 personnes, est aujourd’hui reconnu pour son expertise internationale de longue date dans le domaine des maladies rénales !

Comment vous êtes-vous intéressé aux maladies touchant le rein ?

C. C. : J’ai commencé à travailler sur les maladies rénales en 1988, lors de mon post-doctorat. Elles représentent un important enjeu socio-économique pour notre société : leur incidence ne cesse de croître, notamment dans les pays industrialisés. Les chiffres officiels estiment à près de 850 millions le nombre d’individus concernés au niveau mondial, et près de 10 % de la population en France. Malgré des progrès récents de la médecine et de la recherche, il n’existe toujours pas de traitements efficaces qui permettent de ralentir, ou mieux, de mettre fin à leur progression. Identifier de nouveaux biomarqueurs pour comprendre les mécaniques de ces pathologies, et espérer concevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques pour les soigner reste donc un véritable enjeu de santé publique.

Comment est né le projet SEMA3C ?


C. C. : Le rein est un organe vital, dont la fonction principale est l’épuration : il filtre en permanence le sang pour éliminer l’eau ainsi que les déchets que notre corps produit chaque jour et dont il n’a pas besoin. Les symptômes préfigurateurs d’une perte de fonction rénale sont assez bien connus : troubles digestifs, hypertension artérielle, importante fatigue… On parle alors d’insuffisance rénale. On les classe en deux grandes catégories : l’aigüe, caractérisée par une diminution drastique et rapide de la capacité de filtration des reins, et la chronique, plus progressive dans le temps.
Aujourd’hui, le réel défi pour les médecins et les chercheurs en néphrologie reste de décortiquer finement les mécanismes biologiques fondamentaux, qui précèdent cet état encore irréversible aujourd’hui. Mieux les comprendre pourrait favoriser l’identification de traitements thérapeutiques, en ciblant certaines cibles moléculaires d’intérêt.

Nous savons que les sémaphorines sont des protéines qui gouvernent la fonction des cellules de notre organisme et qui sont impliquées dans le développement de l’embryon humain, mais hélas aussi dans diverses maladies : dans le cadre d’un cancer, elles favorisent par exemple le processus de néoangiogenèse, c’est-à-dire la formation de nouveaux vaisseaux sanguins qui viennent alimenter les tumeurs.

De précédents travaux ont mis en évidence que l’une d’entre elles, nommée SEMA3C, jouait quant à elle un rôle vital dans le développement du cœur. Cependant, en examinant des échantillons de reins malades, avec mes collègues, nous avons remarqué que cet organe fabriquait également SEMA3C, mais uniquement quand il est malade. L’hypothèse de départ de ce projet est que cette protéine aurait un rôle important dans le développement de la maladie rénale, une piste confirmée par nos résultats expérimentaux.

Quelles sont les pistes identifiées par vos travaux ?

C. C. : Tout d’abord, des études conduites sur des modèles murins et humains confirment que le rein, lorsqu’il est agressé, se met à produire la protéine SEMA3C. Les taux de concentration dans l’urine augmentent en conséquence, ce qui fait de cette protéine un biomarqueur intéressant à quantifier lors d’un dosage pour diagnostiquer une éventuelle pathologie rénale. Le constat est en partie vrai dans le sens inverse : en l’absence de production de cette dernière, le rein est moins atteint.

Lors d’autres tests, plusieurs fuites de liquide hors des vaisseaux sanguins ont été constatées en cas de production de SEMA3C, laissant penser que cette sémaphorine facilite la perméabilité des vaisseaux en situation d’agression rénale.

Enfin, la production de SEMA3C entraîne une baisse de la pression artérielle, une fonction qui n’avait jamais été mise en évidence auparavant. Les conséquences en sont une amélioration de l’hémodynamique rénale, une protection contre les agressions vasoconstrictrices.

L’expertise de mes collaboratrices, Amélie Calmont et Juliette Hadchouel pour la partie recherche, et Perrine Frère et Sandrine Placier en charge de la plate-forme d’exploration intra-vitale, ont été essentielles pour obtenir toutes ces données et les valider au niveau expérimental.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier de chercheur ?

C. C. : La recherche est par définition un milieu très stimulant, et j’aime cette liberté de penser et de pouvoir mener à bien certaines idées pour participer à la construction de connaissances solides et vérifiées et qui ont pour objectif de contribuer à améliorer de travailler sur des problématiques concrètes de santé. Il n’y a jamais de routine, c’est un milieu où nous devons continuellement faire preuve d’adaptation.

C’est aussi un environnement cosmopolite : j’ai rencontré au cours de ma carrière des personnes avec des cultures et des modes de vie différents, et avec des systèmes éducatifs ou de formations qui ne sont pas les mêmes que celui qu’on connaît en France… cela nous enrichit au quotidien !