Santé et environnement : comprendre les différences entre les femmes et les hommes

La situation sanitaire des femmes face à la crise de la Covid-19 a montré des spécificités, mais aussi des vulnérabilités qui s’étendent bien au-delà de la pandémie. Les nuisances de l’environnement – polluants physiques, chimiques et microbiologiques – ou encore les expositions liées aux activités professionnelles et domestiques ont des répercussions différentes sur la santé des femmes et celle des hommes. Leur étude nécessite donc de tenir compte du genre des individus : un enjeu fondamental pour lequel l’Inserm souhaite prendre le rôle de leader.

Un article à retrouver dans le rapport d’activité 2020 de l’Institut

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 23 % des décès et près du quart des maladies chroniques dans le monde peuvent être imputés à des facteurs environnementaux. Pour répondre à ce fléau, en France, un quatrième Plan national santé-environnement (PNSE4) intitulé « Mon environnement, ma santé (2020–2024) » a été lancé en octobre 2020. Ses grands axes ont été fixés par un groupe d’experts de l’Inserm – toxicologues, épidémiologistes, écotoxicologues, modélisateurs – coordonné par Robert Barouki, spécialiste des effets des polluants de l’environnement sur la santé humaine, directeur de l’unité Toxicologie environnementale, cibles thérapeutiques1, signalisation cellulaire et biomarqueurs et lauréat du prix Opecst-Inserm 2018. Au cœur de ce plan ambitieux : la notion d’exposome. « Il s’agit de l’ensemble des expositions chimiques, physiques, biologiques, mais aussi celles liées aux cadres de vie et de travail, auxquelles est soumis un individu tout au long de sa vie, décrit Catherine Vidal, neurobiologiste et responsable du groupe Genre et recherche en santé du comité d’éthique de l’Inserm (CEI). L’ambition d’une étude aussi complète de l’environnement de l’individu implique de tenir compte de la dimension du genre ; un besoin confirmé par l’actuelle crise sanitaire, qui a souligné des vulnérabilités féminines spécifiques face à la pandémie de Covid-19. C’est pourquoi le CEI a publié en novembre 2020 une note intitulée Femmes, santé et environnement : la vulnérabilité des populations féminines, afin d’alerter sur la nécessité, lors des recherches sur l’exposome, de décloisonner les thématiques santé-environnement, santé-travail et santé-genre. » Une démarche dans laquelle l’Inserm s’est engagé pleinement, il y a plusieurs années déjà, au travers de différents projets.

L’« effet genre » de l’environnement confirmé sur les mères

De nombreux travaux font apparaître des liens entre les expositions environnementales et le genre, dont les effets peuvent survenir dès le début de la vie. Santé publique France vient ainsi de publier les premiers résultats de l’étude Esteban (Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition). « Elle montre clairement un “effet genre”. Les femmes présentent des taux de cadmium [un métal que l’on retrouve dans diverses industries mais aussi dans de nombreux aliments, dont les crustacés, ndlr.], de parabènes et d’éthers de glycol [respectivement des conservateurs et des solvants très utilisés dans les cosmétiques, ndlr.] supérieurs à ceux des hommes. En revanche, elles affichent des niveaux inférieurs pour les composés perfluorés, des produits de synthèse utilisés comme imperméabilisants textiles ou dans des revêtements antiadhésifs et certains emballages alimentaires et les retardateurs de flamme, indique Robert Barouki. De fait, même si Esteban n’apporte pas encore d’éclairage sur les raisons et les conséquences de ces différences, ces données quantitatives pourront ensuite être corrélées aux sources d’expositions identifiées au travers d’autres travaux. » C’est le cas de l’étude Pélagie (Perturbateurs endocriniens : étude longitudinale sur les anomalies de la grossesse, l’infertilité et l’enfance) de l’Inserm, coordonnée par Cécile Chevrier de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) à Rennes2. Le suivi, depuis 2002, de 3 500 mères pendant leur grossesse, puis de leur enfant, établit un lien entre l’exposition maternelle aux éthers de glycol et les troubles de l’attention de l’enfant, par exemple. Dans le même esprit, le projet européen Helix (the Human Early-Life Exposome, soit « l’Exposome dans les premières années de vie »), mené de 2013 à 2017, étudie les expositions à 130 agents toxiques de 1 200 « paires » mère-enfant. Selon les premiers résultats publiés en 2019 et en 2020, auxquels a contribué l’équipe Épidémiologie environnementale appliquée à la reproduction et la santé respiratoire3 de l’Inserm à Grenoble, l’exposition précoce à certains produits chimiques est associée à une baisse de la tension artérielle de la mère. Elle impacterait aussi celle de l’enfant, le développement de sa fonction respiratoire et favoriserait chez lui l’obésité.

Dans la continuité de ces études, les chercheurs grenoblois ont débuté en 2019 l’enquête Sepages (Suivi de l’exposition à la pollution atmosphérique durant la grossesse et effets sur la santé) auprès de 700 « trios » parents-enfants. Enfin, ces deux équipes Inserm de Rennes et de Grenoble font partie du Réseau européen sur l’exposome humain (REEH) et sont notamment impliquées dans le projet Athlete (Advancing Tools for Human Early Lifecourse Exposome Research and Translation, soit « faire avancer les outils de recherche et de traduction de l’exposome sur le début de la vie »). Son objectif : évaluer l’exposome pendant la grossesse, l’enfance et l’adolescence.

Précarité sociale et santé : double peine pour les femmes

« Mais les femmes ne sont pas toutes des mères, bien sûr, précise Robert Barouki. La question de leur vulnérabilité en matière de santé se pose donc tout au long de la vie et implique aussi des facteurs sociaux et économiques. » Et pour cause. Selon le rapport Santé et accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité publié en 2017 par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « les femmes constituent aujourd’hui la majorité des personnes en situation de précarité ». Or, une étude de Jean-Marie Robine, démographe de l’Inserm au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (Cermes 3)4, a montré qu’en France, les femmes âgées de 50 à 79 ans rencontrent plus de difficultés économiques que les hommes, et plus de contraintes susceptibles de limiter leur activité. Tandis que le manque de ressources financières est une des premières causes de renoncement aux soins, dans le même temps, les femmes qui travaillent de nuit – ce qui est fréquent chez celles en situation de précarité – présentent un risque accru de cancer du sein, selon une méta-analyse internationale coordonnée par le Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP)5 de l’Inserm. Enfin, pour avoir une vision encore plus large de la problématique, le projet Ephnor (Exposome Project for Health and Occupational Research, soit « projet exposome pour la recherche sur la santé et le travail ») du REEH, auquel participe l’équipe de Marie Zins, directrice de la cohorte généraliste Constances de l’Inserm, va étudier les expositions dans la vie professionnelle et domestique, en tenant compte du sexe et des groupes socioéconomiques. Il s’agira d’identifier des combinaisons de facteurs de risque pour la santé et les stades de la vie les plus vulnérables, pour les femmes et les hommes.

Malgré ces avancées, la prise en compte des spécificités féminines dans l’étude de l’exposome se heurte à plusieurs freins. « D’une part, les données obtenues sont colossales et les différences entre femmes et hommes ténues, ce qui pose donc des difficultés analytiques. D’autre part, il manque encore des études sur la fertilité féminine, plus délicate à évaluer que celle des hommes, ainsi que sur la période de la ménopause et celle qui suit. Enfin, si la dimension du genre est souvent présente dans les études épidémiologiques, elle l’est beaucoup moins dans les recherches fondamentales qui ne portent pas directement sur l’être humain, reconnaît Robert Barouki. Toutefois, la prise en compte de cette dimension du genre commence à rentrer dans les mœurs, notamment grâce aux financements européens qui exigent que les chercheurs justifient leurs choix en la matière pour leurs modèles de laboratoire. » Une évolution que Catherine Vidal espère pérenne car « certes, la recherche semble s’engager dans cette voie, mais il reste à voir si cet élan va se concrétiser rapidement. Une volonté politique est nécessaire pour intégrer les recherches sur le genre dans les plans stratégiques des institutions de recherche dans tous les domaines de la santé, comme le souligne le récent rapport du Haut Conseil à l’égalité, intitulé Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique. »

Covid-19 : les femmes victimes du cumul des inégalités sociales et économiques

Statistiquement, les femmes meurent moins de la Covid-19 que les hommes. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont plus épargnées par la crise sanitaire. « En effet, cette dernière est un miroir grossissant de la problématique “femmes, santé et exposome”, souligne Catherine Vidal. Pour évaluer le réel impact de la Covid-19 sur les femmes, il faut adopter une vision plus large que la simple différence de sexe – inclure l’âge, les comorbidités, les conditions de vie et de travail, le pays d’origine par exemple – et analyser finement les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la crise sur les personnes. »

En France, cette approche de type « exposome » est portée par diverses enquêtes de santé publique coordonnées par l’Inserm. Parmi celles-ci, on peut citer Sapris (Santé, perception, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid-19) et Epicov (Épidémiologie et conditions de vie), qui articulent les données médicales et sociologiques afin d’établir une cartographie fine du statut immunitaire de la population, et d’étudier les effets
des conditions de vie sur l’exposition au virus, et réciproquement.

L’enquête Coconel (Coronavirus et confinement, enquête longitudinale) suit quant à elle la réponse psychologique, émotionnelle et comportementale d’un millier de Français face à l’épidémie et au confinement. Cette dernière conclut que, durant le premier confinement, « les femmes ont été plus affectées que les hommes par les conséquences économiques et matérielles de la pandémie. Les situations de surpeuplement, les baisses de revenus et l’arrêt du travail étaient plus fréquents ; au domicile, elles vivaient dans de moins bonnes conditions que leurs homologues masculins. Enfin, 39 % d’entre elles partageaient leur espace de travail avec leurs enfants ou d’autres membres du ménage, contre 24 % des hommes. »

Au cours de cette même période, Sapris et Epicov font apparaître que si certains indicatifs sont « genrés », c’est le cumul des inégalités qui fragilise les femmes plus que les hommes. En mai et début juin 2020, 4,5 % de la population française avait préalablement été infectée par le virus. Mais le taux montait à 11,4 % pour les professionnels du soin, qui, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sont à 70 % des femmes dans ses pays membres. Autres enseignements, l’épidémie s’est davantage propagée dans les foyers surpeuplés, qui sont habités surtout par des ouvriers non qualifiés, et dans les zones urbaines denses, qui sont majoritairement peuplées par des personnes immigrées d’origine non européenne.

Pour chacun de ces indicateurs, dans ces enquêtes, il n’y a pas de différence majeure entre les femmes et les hommes. En revanche, le genre vient s’ajouter à l’effet cumulatif des inégalités sociales. Ainsi, comme l’illustre l’enquête Epicov, « un tiers des femmes ouvrières immigrées d’origine non européenne vivent dans un logement surpeuplé et plus d’une sur deux dans une commune de forte densité. Tandis que la moitié d’entre elles ne travaillaient pas avant le confinement, parmi les femmes actives, une sur trois s’est rendue quotidiennement sur son lieu de travail. Enfin, 40 % d’entre elles déclarent que leur situation financière s’est dégradée depuis le début du confinement [...]. De plus, les inégalités de genre se retrouvent très présentes quand on considère l’organisation de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de la répartition des tâches domestiques ou de la prise en charge des enfants. »

« À l’avenir, si une crise économique remplace la crise sanitaire, les femmes seront-elles plus impactées que les hommes ? » s’interroge Robert Barouki, qui reconnaît que le risque que ce soit le cas est élevé.

Notes :
1 : unité 1124, Toxicologie environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs, Paris
2 : unité 1085, Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset), Rennes
3 : unité 1209, Épidémiologie environnementale appliquée à la reproduction et la santé respiratoire, Grenoble
4 : unité 988, Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (Cermes 3), Villejuif
5 : unité 1178, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), Villejuif

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