Réparation osseuse : un mécanisme mieux compris 

En cas de fracture, au moins trois populations de cellules souches participent à la reconstruction osseuse, issues de la moelle osseuse, du périoste et des muscles squelettiques. Une équipe de chercheurs vient de montrer que si ces populations présentent chacune des caractéristiques moléculaires très variées lorsqu’elles sont « au repos », au moins deux d’entre elles s’engagent dans un programme commun et coordonné dès lors qu’une lésion osseuse apparaît.

Une lésion de l’os entraîne l’activation immédiate d’un mécanisme de réparation tissulaire. À l’Institut Mondor de recherche biomédicale1, le groupe de Céline Colnot, spécialisé dans la biologie du système musculosquelettique, a récemment montré qu’au moins trois populations de cellules souches participent à ce processus : celles de la moelle osseuse, nichées au cœur de l’os, celles de la membrane externe de l’os (le périoste), mais aussi celles présentes dans les muscles squelettiques adjacents à l’os blessé.

Pour mieux comprendre l’implication de ces différentes populations cellulaires, l’équipe les a étudiées chez la souris, avant et après une fracture. Des expériences ont dans un premier temps été conduites in vitro et in vivo pour décrire les caractéristiques associées à la prolifération des trois types de cellules souches, à leur capacité de migration et à leur différenciation. Ces travaux ont permis de constater que ces cellules ont une destinée différente selon leur origine. Celles issues de la moelle se différencient uniquement en ostéoblastes, les cellules qui forment la matrice osseuse. Celles du périoste montrent, quant à elles, le plus fort potentiel de régénération osseuse : elles peuvent en effet se différencier en ostéoblastes, mais aussi en chondrocytes, les cellules qui forment le cartilage. Enfin, les cellules souches issues des muscles donnent préférentiellement des chondrocytes.

Les chercheurs ont ensuite étudié le profil d’expression des gènes des cellules souches des muscles et du périoste, les plus efficaces dans le processus de réparation osseuse. Ces analyses transcriptomiques, réalisées à l’échelle de cellules uniques (cellule par cellule), ont été menées en collaboration avec l’équipe de Mickaël Ménager à l’Université de Paris2. L’objectif des chercheurs était de pouvoir identifier les voies moléculaires activées dans chaque cellule à un instant donné.

Activation, fibrose, différenciation

En l’absence de lésion osseuse, les scientifiques ont observé une grande hétérogénéité entre les différentes populations cellulaires étudiées (et même au sein de chacune d’entre elles), avec une diversité importante dans les marqueurs moléculaires qu’elles expriment. Mais cette variété s’estompe en cas de lésion à réparer : trois jours après une fracture, toutes les cellules activent des voies moléculaires similaires, en particulier une voie déjà connue pour son rôle dans la formation osseuse appelée BMP (pour Bone Morphogenetic Protein). Pour preuve, l’inactivation du récepteur BMPR1A impliqué dans cette voie entraîne un retard de réparation osseuse, et les cellules souches du périoste et du muscle squelettique présentent alors un défaut d’activation et de différenciation. « Cette étude nous permet de mieux comprendre le processus de réparation osseuse. Nous constatons que des cellules souches apparemment très variées au repos ont la capacité de se mettre en ordre de bataille en cas de lésion, en activant les mêmes voies moléculaires. Nous avons également découvert l’existence d’une étape intermédiaire, avec un état fibrogénique des cellules souches qui semble préalable à leur différenciation en cellules fonctionnelles de l’os », précise Céline Colnot. Au-delà de l’aspect fondamental, ces résultats aident à comprendre des anomalies de réparation osseuses observées chez certaines personnes. « Dans la neurofibromatose de type 1 par exemple, des patients présentent des fractures qui ne consolident pas, avec formation d’une fibrose permanente au niveau du périoste. On peut maintenant expliquer cela par un défaut d’activation des cellules souches qui les empêche de passer du stade fibrogénique à celui de cellules différenciées. Nous avons identifié la voie BMP comme impliquée dans cette transition, mais d’autres voies restent encore à découvrir. Notre travail sur cellule unique devrait nous permettre d’en décrire davantage », entrevoit Céline Colnot

Notes : 
1 : unité 955 Inserm/UPEC, IMRB, équipe Biologie du système neuromusculaire, Créteil
2 : unité 1163 Inserm/Université de Paris, équipe Réponses inflammatoires et réseaux transcriptomiques dans les maladies et responsable du LabTech Single-Cell@Imagine

Source : A Julien et coll. Skeletal stem/progenitor cells in periosteum and skeletal muscle share a common molecular response to bone injury. J Bone Miner Res, édition en ligne du 2 juin 2022. DOI : 10.1002/jbmr.4616

À lire aussi

Microradiographie d'une coupe de tissu osseux humain illustrant l'hétérogénéité de la minéralisation osseuse (zones gris foncé peu minéralisées et zones blanches plus minéralisées).
Coloration au rouge alizarine de cellules souches mésenchymateuses différenciées en ostéoblastes. Les cellules souches mésenchymateuses (CSM) sont des cellules souches tissulaires multipotentielles donnant naissance aux tissus conjonctifs du squelette. Les ostéoblastes sont les cellules responsables de la formation osseuse, assurant la fabrication de la matrice organique.