Rencontre avec Marc Scherlinger – lauréat Atip-Avenir

Chaque année une vingtaine de jeunes chercheurs bénéficient du programme Atip-Avenir et peuvent ainsi constituer leur propre équipe de recherche dans les domaines des sciences de la vie et de la santé.
Rencontre avec Marc Scherlinger, lauréat 2023 d’un Atip-Avenir, médecin-chercheur au sein de l’unité Inserm 1109 Immuno-Rhumatologie Moléculaire / université de Strasbourg dirigée par Seiamak Bahram.

Marc Scherlinger - homme souriant aux yeux bleus

Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

Marc Scherlinger : J’ai commencé par la faculté de médecine et j’ai eu l’opportunité de débuter très tôt l’apprentissage de la recherche par le biais de l’école de l’Inserm Liliane Bettencourt qui permet à des étudiants en médecine de découvrir le monde de la recherche. Ainsi, j’ai réalisé un Master 2 entre la 3ème et 4ème année de médecine sur une période de césure, au sein de l’unité Inserm 1110 Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques / université de Strasbourg sous la direction de Samira Fafi-Kremer.

J’ai énormément apprécié cette découverte du monde de la recherche, et suis retourné à la formation médicale avec l’envie d’y revenir dès que j’aurai pu acquérir plus de maturité. Durant ma formation médicale, j’ai découvert l’univers des maladies auto-immunes et notamment le lupus systémique grâce au chef du service de rhumatologie de Strasbourg de l’époque, Jean Sibilia, qui est depuis mon mentor. À la suite du concours de l’internat, j’ai décidé de continuer ma formation à Bordeaux, qui est centre de référence des maladies auto-immunes rares « jumelé » avec Strasbourg.

Une fois à Bordeaux, j’ai complété ma spécialisation en rhumatologie par une thèse de science sur le lupus systémique avec Christophe Richez et Patrick Blanco. Je suis ensuite parti 2 ans à Boston dans le laboratoire du professeur George Tsokos rattaché à Harvard pour travailler sur l’immunologie du lupus systémique, une superbe expérience post-doctorale aux États-Unis.

Lorsque je suis revenu en France en novembre 2022, les planètes étaient bien alignées… j’ai eu la chance de bénéficier d’un poste de clinicat Inserm-Bettencourt qui me permet de libérer 50% de mon temps de travail pour la recherche, je suis donc 15 jours au laboratoire et 15 jours dans le service hospitalier ce qui est une vraie chance pour un médecin à ce stade de carrière. J’ai ensuite candidaté pour l’Atip Avenir que j’ai obtenu.

Le lupus systémique qu’est-ce que c’est exactement ?

M.S. : Il s’agit d’une maladie auto-immune rare qui touche principalement la femme jeune. On compte aujourd’hui 49 cas pour 100 000 habitants, soit environ 30 000 patients en France.

Le lupus systémique est parfois difficile à diagnostiquer et à prendre en charge car il peut toucher tous les organes et il existe une grande hétérogénéité dans cette maladie. Le lupus est traité avec des immunosuppresseurs non spécifiques ou des thérapies ciblées (anticorps anti-cytokine). Donc schématiquement, l’objectif est d’inhiber la réponse immunitaire pour éviter que le patient présente des symptômes et accumule des lésions d’organes (insuffisance rénale, cicatrice cutanée...). Les immunosuppresseurs sont généralement assez efficaces, mais sont responsables d’un surrisque infectieux, les infections étant aujourd’hui la première cause de mortalité du lupus. De plus, les patients ont un risque de maladies cardiovasculaires élevé, qui représente la deuxième cause de mortalité du lupus et sur lesquels les traitements immunosuppresseurs sont inefficaces. Il y a donc un intérêt à développer de nouveaux traitements qui pourraient permettre de contrôler la dérégulation immunitaire, idéalement sans augmenter le risque infectieux et en limitant le risque cardiovasculaire. L’Atip-Avenir avec la création de mon équipe m’offre la possibilité d’axer mes recherches en ce sens.

Pourriez-vous nous présenter un état des lieux de vos recherches au sujet du lupus systémique ?

M.S. : Dans mon projet, je m’intéresse de près aux plaquettes sanguines, bien connues pour leur rôle dans l’hémostase et les maladies cardiovasculaires. Il a été identifié il y a une vingtaine d’années que les plaquettes, interagissent avec le système immunitaire, et participent à l’immunité anti-infectieuse, anti-tumorale, ainsi que dans les maladies auto-immunes.

Nous avons constaté durant mon travail de thèse sur le lupus systémique, que lorsque la maladie est active (manifestations cliniques), les plaquettes sont activées ce qui augmente le risque de thrombose (caillot). On constate par ailleurs que les plaquettes activées interagissent physiquement avec des globules blancs très spécifiques qui sont les lymphocytes T régulateurs, dont le rôle est d’inhiber l’activation du système immunitaire. On savait déjà que dans le lupus systémique ces lymphocytes T régulateurs sont dysfonctionnels et qu’ils ne régulent plus la réponse immunologique.

Durant ma thèse nous avons démontré que quand les plaquettes interagissent physiquement avec les lymphocytes T régulateurs, elles modifient le programme transcriptionnel de ces lymphocytes et bloquent leurs fonctions régulatrices. Enfin, lorsque l’on bloque l’interaction physique entre la plaquette et la cellule immunitaire, on restaure les fonction des lymphocytes T régulateurs et on améliore la maladie (Scherlinger et al., Sci Trans Med 2021).

Schéma des perspectives avec l'Atip-Avenir

Quel est précisément votre projet de recherche ?

M. S. : Mon projet de recherche est dans la suite logique, j’étudie toujours les plaquettes qui sont activées dans le lupus, et particulièrement leur interaction avec une autre cellule immunitaire très importante dans le lupus systémique. Il s’agit du polynucléaire neutrophile qui est la cellule principale de l’immunité innée et qui est responsable de lésions d’organes, de relargage d’auto-antigènes et des phénomènes de thromboses.

Nos données montrent que les plaquettes interagissent aussi physiquement avec ces polynucléaires neutrophiles et favorisent une mort cellulaire très spécifique que l’on dit immunogénique (NETose). Durant la NETose, le neutrophile va mourir et relarguer ses composants internes, notamment l’ADN et d’autres complexes protéiques modifiés qui vont être pris en charge par le système immunitaire comme du « non-soi » et alimenter la réponse « auto– » immune.

Mon projet est, à partir de prélèvements de patients comme du sang/tissus, d’évaluer chez les malades les interactions entre les plaquettes et les différentes cellules immunitaires dont notamment les neutrophiles. Et ainsi comprendre comment les plaquettes peuvent promouvoir la mort des neutrophiles et les lésions d’organes.

À terme, quelle sera l’impact pour la société et les patients atteints de lupus systémique ?

M. S. : Plusieurs perspectives sont développées dans le cadre de ce projet. L’activation plaquettaire suivant l’activité de la maladie, on peut envisager de la monitorer en tant que biomarqueur pour mieux suivre le patient, prédire les poussées de la maladie dans l’objectif de les prévenir en adaptant le traitement immunosuppresseur.

En outre, l’interaction plaquette / cellule immunitaire est médiée par une voie moléculaire spécifique (P‑sélectine / PSGL‑1) qui peut être bloquée par plusieurs stratégies, telle qu’un anticorps anti-P-sélectine. Par chance, un tel anticorps monoclonal a été développé chez l’Homme dans une maladie hématologique (drépanocytose). Nous travaillons actuellement à la mise en place d’un essai thérapeutique « preuve de concept » visant à traiter des malades avec cet anticorps pour évaluer l’effet sur la maladie. En effet, bloquer les interactions plaquettes/immunité pourraient améliorer la dérégulation immunitaire du lupus systémique sans toutefois augmenter le risque d’infection ou de maladie cardiovasculaire, qui sont deux challenges majeurs dans la prise en charge de ces patients (Scherlinger et al., Nature Rev Immunol 2023).

Contacter Marc Scherlinger : zfpureyvatre@havfgen.se 

Références
Scherlinger M, Guillotin V, Douchet I, …, Richez C, Blanco P. Selectins impair regulatory T cell function and contribute to systemic lupus erythematosus pathogenesis. Science Transl Med. 2021 Jun 30;13(600):eabi4994.

Scherlinger M, Richez C, Tsokos GC, Boilard E, Blanco P. Role of platelets in immune-mediated inflammatory diseases. Nature Rev Immunol 2023 Jan 27:1–16.