Recherche citoyenne : l’humain, au cœur de la cohorte Constances

En novembre 2022, la cohorte Constances fêtait son dixième anniversaire. L’occasion de revenir sur les grandes avancées scientifiques qu’elle a permises mais aussi de rappeler l’intérêt de ce type d’infrastructure pour la recherche biomédicale et plus largement pour la société.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°56

« Une cohorte, c’est une enquête qui suit de façon individuelle un groupe de personnes », explique d’entrée de jeu Marie Zins, directrice de l’unité de service Cohortes épidémiologiques en population, à Villejuif. Si les cohortes de malades sont centrées sur une pathologie, celles en population, comme Constances, s’intéressent à la santé en général. Bien que généraliste, la cohorte Constances est unique par sa taille. « Dès le départ, nous avons visé le club très fermé des mégacohortes », se rappelle Marie Zins. Avec ses 220 000 volontaires, malades ou non, âgés de 18 à 69 ans à l’inclusion, Constances représente le plus important projet de recherche d’épidémiologie et de santé publique en France. Cet échantillon, visant à la représentativité de la population adulte en métropole, constitue une source d’informations extrêmement détaillée. 

En effet, tous les volontaires passent, lors de leur inclusion puis tous les quatre ans, un examen de santé complet : mesures physiques, auditives, visuelles, pulmonaires, biologiques mais aussi cognitives à partir de 45 ans… « Pour plus d’un quart des participants, nous avons pu prélever du sang et des urines, ajoute la responsable de la cohorte. Soit au total une biobanque de 1 400 000 échantillons. » Ces données objectives sont complétées chaque année par des questionnaires : pathologies, alimentation, activité physique, consommation d’alcool et de tabac… Des items récurrents auxquels s’ajoutent d’autres thèmes, ponctuels, selon les projets en cours : « asthme et rhinites, exposition aux pesticides, moisissures et produits ménagers… La liste est longue ! », commente Marie Zins. Dernière source d’information non négligeable : les bases administratives. Depuis l’origine, Constances est reliée au Système national des données de santé (SNDS), qui regroupe remboursements de soins, affections de longue durée, hospitalisations, accidents du travail et causes de décès. « C’est aussi la seule cohorte en France couplée aux bases de l’assurance vieillesse, qui retracent toute la trajectoire sociale et professionnelle des volontaires », se réjouit l’épidémiologiste.

La quantité, la qualité et la variété des données pseudononymisées recueillies permettent d’étudier le rôle – même faible – d’agents biologiques, génétiques ou environnementaux dans certaines pathologies. « La valeur d’une cohorte s’accroît avec le temps et la survenue d’“incidents” de santé, éclaire Marie Zins. Constances n’en est qu’au tout début de ce qu’elle peut nous apprendre. »

Informer les politiques publiques

Grâce aux projets achevés ou en cours (à ce jour 130, dont un grand nombre déposés par l’Inserm), on sait désormais que :

« Les pouvoirs publics sont impatients de savoir si le meilleur remboursement des prothèses auditives va augmenter le taux d’appareillage », précise la chercheuse. Les divers résultats publiés pourraient aussi conduire à généraliser les tests respiratoires en médecine de ville, ou à lancer des campagnes de prévention ciblées sur les addictions, la bronchite chronique…

Les données recueillies – plusieurs téraoctets – sont en outre accessibles : « La communauté scientifique peut s’en emparer et, à certaines conditions, soumettre de nouvelles questions ou examens aux volontaires », explique Marie Zins. L’activité de la cohorte s’enrichit donc en permanence, avec plus de 190 chercheurs de tous horizons (Europe, Canada, États-Unis…).

Innover, toujours

Depuis janvier, Olivier Laurent, chercheur à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pilote ainsi le projet Corale sur les rayonnements ionisants, cancérogènes. Via un questionnaire et différentes bases administratives, il recense l’exposition environnementale, médicale et professionnelle, depuis la naissance, de 80 600 volontaires qui ont déclaré leur historique résidentiel. Des données qu’il complètera par des mesures de radon sur 1 000 d’entre eux. Objectif ? Évaluer les effets, souvent tardifs, d’une faible radioactivité sur des pathologies non cancéreuses et les interactions avec d’autres facteurs de risques.

En 2023, 2 000 prélèvements de salive vont par ailleurs être séquencés sous la houlette d’Emmanuelle Génin, lauréate du prix Recherche Inserm 2017 et directrice de l’unité Génétique, génomique fonctionnelle et biotechnologies à Brest. Les variations génétiques détectées dans l’ADN permettront d’améliorer le diagnostic de certaines maladies. Autre nouveauté : Alban Redheuil, responsable de l’imagerie cardiovasculaire à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, lance avec la fondation MSD Avenir le projet Iconic auprès de 2 400 volontaires franciliens. « Constances deviendra ainsi la première cohorte française d’imagerie de population en multimodalité (échographie et IRM) étudiant à la fois le cœur, les vaisseaux, le foie et les tissus adipeux avec les dernières technologies et incluant les moins de 40 ans pour visualiser les processus du vieillissement », détaille Marie Zins. Une première mondiale ! D’autres innovations se préparent avec des partenaires privés, par exemple des jumeaux numériques de patients afin de choisir « pour chaque individu le bon traitement au bon moment ». Dans cet écosystème, le respect des données de santé prime. L’association des volontaires Constances, créée en juin 2020 – une initiative inédite au monde –, a ainsi œuvré pour que les données du SNDS restent en Europe. Les données sensibles de Constances sont quant à elles gérées en France au Centre d’accès sécurisé des données (CASD).

Volontaire et fier de l’être

La première mission de l’association consiste cependant à « faire le lien entre les travaux de la cohorte et les volontaires, éparpillés dans l’Hexagone, pour qu’ils comprennent l’utilité de leur participation citoyenne, éclaire sa présidente, Frédérique Anne. Nous ne sommes pas une association de malades qui ont un intérêt immédiat dans les résultats de recherche. En dehors des examens médicaux, l’apport de Constances pour chaque individu n’apparaît qu’à travers l’évolution des politiques de santé publique. »

Pour améliorer encore la quantité et la qualité des données, et in fine les opportunités de recherche et de financement, il est primordial de mobiliser les 220 000 individus inclus pendant toute la durée légale d’utilisation des données, soit 30 ans voire plus ! Outre ses actions de communication pour valoriser les participants, l’association Constances mène donc une réflexion sur les questionnaires afin d’augmenter les taux de réponse : « 80 % ont déjà répondu à au moins un questionnaire, mais 57 % “seulement” les ont tous remplis », illustre la présidente. L’association s’est aussi récemment lancée dans une démarche participative : les adhérents préparent une synthèse des publications en santé-environnement adossées à Constances pour identifier de nouvelles questions de recherche. Grâce à leurs échanges réguliers avec les chercheurs, ils contribuent ainsi à faire avancer la science, ensemble.


Marie Zins est directrice de l’unité de service Cohortes épidémiologiques en population (unité mixte de service 11 Inserm/Université Paris Cité, Université Paris Saclay, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines) à Villejuif.

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