Quand stratégie thérapeutique rime avec mécanique

Et si le système immunitaire était aussi une histoire de mécanique ? Depuis quelques années, nombre de chercheurs étudient de près ces aspects. Et pour cause : la progression tumorale est rythmée par de nombreux paramètres biomécaniques qui favorisent ou freinent la formation de métastases, ces tumeurs secondaires résultant de la dissémination de cellules tumorales par la circulation sanguine. Les chercheurs Jacky Goetz (Inserm/Université de Strasbourg) et Li Tang (École Polytechnique Fédérale de Lausanne), ainsi que leurs équipes, ont associé leurs expertises (biomécanique, métastases, immunologie) pour proposer un tour d’horizon des avancées récentes en la matière, dans un article tout juste publié dans la revue de référence Nature Nanotechnology.

La croissance d’une tumeur primaire, à partir de laquelle pourront s’échapper des cellules cancéreuses pour former des métastases ailleurs dans le corps, s’accompagne de changements mécaniques qui ont globalement trait à la rigidité des tissus alentours, au comportement des fluides dans lesquels la tumeur baigne et aux propriétés mécaniques des cellules tumorales. Ces altérations, que l’on retrouve parfois dans d’autres types de pathologies (comme les fibroses), peuvent freiner l’infiltration de cellules immunitaires et donc ralentir la guérison des tissus.

La bonne nouvelle, c’est que l’ensemble des différentes cellules immunitaires – comme les lymphocytes – sont sensibles à ces forces biomécaniques : de nombreuses études rapportent qu’elles adapteraient leurs réponses aux différentes stimulations mécaniques qu’elles rencontrent, et notamment la rigidité de la cellule cancéreuse ciblée. Les cellules tumorales plus souples seraient ainsi moins sensibles aux tentatives de destruction induite par l’activité dite « cytotoxique » des cellules immunitaires.

Illustration d'une cellule immunitaire cherchant à détruire une cellule tumorale.
La cellule immunitaire (à gauche) déploie son activité cytotoxique visant la destruction de la cellule tumorale (à droite), en y introduisant des granzymes : ces « soldats » ont pour rôle d’éliminer des cellules indésirables pour l’organisme en déclenchant l’apoptose, mécanisme d’autodestruction des cellules.
©Julien Husson (LadHyX, CNRS, Ecole polytechnique, Institut polytechnique de Paris / illustration utilisée pour les ateliers d’immunobiophysique)

Identifier des « fenêtres » pour moduler et maximiser la réponse immunitaire 

Il apparaît donc qu’à certains stades du développement des métastases, selon l’évolution de la rigidité des cellules tumorales, le système immunitaire puisse être plus ou moins efficace pour les éliminer. Dès lors, l’enjeu est d’identifier précisément les moments optimaux auxquels les cellules immunitaires seraient le plus à‑même d’atteindre leur cible, et a contrario les stades où il conviendrait de compenser les lacunes de notre arsenal de défense.

Au moins trois aspects liés à ces caractéristiques mécaniques pourraient être modifiés afin de maximiser la réponse immunitaire face aux pathologies cancéreuses. Les deux premières portent sur la tumeur ou son environnement immédiat, qu’il s’agirait soit de rendre plus facilement accessible aux cellules immunitaires en ciblant des points d’entrée stratégiques, soit de rendre plus rigides et donc plus vulnérables au système immunitaire. La troisième voie, elle, se focalise sur les cellules immunitaires : l’objectif consiste alors à les modifier pour faire basculer le rapport de force en leur faveur, et ainsi potentialiser la perforation des cellules tumorales.

La mise en place de telles stratégies thérapeutiques prometteuses, visant à exploiter ces caractéristiques mécaniques du système immunitaire, « nécessitera néanmoins que les outils permettant la visualisation et la mesure des forces associées à l’activité des cellules immunitaires continuent d’être développés » souligne Jacky Goetz, qui dirige l’équipe Biomécanique des tumeurs au laboratoire Immunologie et rhumatologie moléculaire (Inserm/Université de Strasbourg). Objectif, à terme : ajouter une nouvelle corde, mécanique, à l’arc des immunothérapies.

Illustration d'un lymphocyte T étalé sur une lame et mimant la synapse immunitaire.
Un lymphocyte T (cellule immunitaire luttant contre les cellules infectées par des virus ou bactéries, des cellules étrangères ou cancéreuses) étalé sur une lame et mimant la synapse immunitaire. La formation de cette dernière, sorte d’interface entre la cellule-cible et le lymphocyte, ainsi que la perforation de la cellule-cible pour y déclencher les mécanismes conduisant à sa destruction, forment une suite d’étapes tributaires de la rigidité de la cellule cancéreuse ciblée.
©IMARIS / Vincent MITTELHEISSER

Source : Mittelheisser, V., Gensbittel, V., Bonati, L. et al. Evidence and therapeutic implications of biomechanically regulated immunosurveillance in cancer and other diseases. Nat. Nanotechnol. (2024). https://doi-org.proxy.insermbiblio.inist.fr/10.1038/s41565-023–01535‑8

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