Quand les cellules tumorales apprennent à vivre sur du tissu mou

Les cellules cancéreuses présentent une capacité accrue à survivre sur des tissus très mous. Mais souvent, cela n’est possible qu’au prix d’anomalies chromosomiques majeures, susceptibles de les rendre particulièrement agressives.

Plus un tissu est souple, plus une cellule « normale » va avoir du mal à s’y implanter. Pour les cellules cancéreuses, cela semble toutefois beaucoup plus facile. Et parmi celles qui y parviennent, beaucoup présentent des anomalies chromosomiques qui peuvent augmenter leur agressivité pour l’organisme. C’est ce que viennent de montrer des chercheurs strasbourgeois* qui s’interrogeaient quant à l’impact de l’élasticité des tissus sur la prolifération des cellules cancéreuses. 

« Des cellules saines du côlon ne peuvent pas survivre sur des milieux extrêmement souples. Nous avons voulu savoir ce qu’il en était pour les cellules tumorales, afin de mieux comprendre les phénomènes liés à la production de métastases », explique Dominique Vautier, co-auteur des travaux. Pour cela, les chercheurs ont déposé des cellules de cancer du côlon sur des membranes d’hydrogel plus ou moins souples et évalué leur capacité à s’y diviser. Le dispositif utilisé leur a permis de mimer les différents degrés d’élasticité des tissus de l’organisme, du plus dur (l’os), au plus mou (les fluides biologiques). « Le modèle développé est approprié pour étudier les cellules tumorales isolées ou en petits groupes, qui s’échappent de la tumeur primaire pour envahir d’autres tissus d’élasticités très différentes », clarifie le chercheur. 

Davantage d’anomalies chromosomiques

Les résultats sont sans équivoque : plus les membranes sont souples, plus les cellules meurent. Néanmoins, les cellules cancéreuses sont beaucoup plus tenaces que des cellules saines sur ces milieux. Certaines d’entre elles parviennent à se diviser et à survivre sur des tissus très mous. Ainsi, 60 % des cellules cancéreuses survivent sur une membrane d’une élasticité de 50 kPa et près de 10 % en cas d’élasticité de 20 kPa. Dans de telles conditions, les cellules saines meurent. 

Les auteurs ont par ailleurs constaté que 11 à 13 % de ces cellules cancéreuses résistantes présentent des anomalies chromosomiques majeures (absence de chromosome ou de morceau de chromosome). « Une cellule saine confrontée à une telle anomalie s’engage dans un processus de mort cellulaire. Les cellules cancéreuses, elles, continuent à se développer. Les anomalies les aident peut être à s’adapter à ces milieux normalement hostiles. Elles peuvent aussi rendre les cellules plus agressives pour l’organisme », explique le chercheur. 

Un marqueur d’agressivité

Ces résultats pourraient donc expliquer pourquoi les métastases sont souvent plus agressives que les cellules de la tumeur primitive. C’est que ce vont maintenant tenter de vérifier les chercheurs. Après avoir sélectionné des cellules tumorales résistantes sur les membranes les plus élastiques, ils vont les injecter à des rongeurs et regarder si les animaux développent ou non des tumeurs particulièrement agressives. 

Par ailleurs, en étudiant le profil génétique de ces cellules résistantes, les chercheurs espèrent identifier une signature moléculaire qui pourrait servir de marqueur d’agressivité. Une telle signature pourrait servir lors du diagnostic et permettre d’adapter la prise en charge des patients atteints de cancer du côlon primitif. 

Note :
Unité 1121 Inserm/Université de Strasbourg, en association avec l’unité Inserm 1113 et l’UPR22 du CNRS 

Source :
M. Rabineau et coll. Contribution of Soft Substrates to Malignancy and Tumor Suppression during Colon Cancer Cell Division. PloS One du 22 octobre 2013, 8(10): e78468. doi:10.1371/journal.pone.0078468