Production des cellules sanguines : apprendre de l’embryon pour faire mieux

Manuela Tavian est chargée de recherche à l’Inserm et étudie depuis des années les mécanismes impliqués dans la mise en place du système de production des cellules sanguines chez l’embryon humain. A l’occasion de la publication d’un article dans Nature Cell Biology, elle présente une avancée importante dans le domaine effectuée en collaboration avec des chercheurs italiens.

La production continue et régulée de cellules sanguines tout au long de la vie repose sur l’existence d’une petite cohorte de cellules souches hématopoïétiques (CSH), caractérisées par leur capacité d’autorenouvellement c’est-à-dire le pouvoir de se reproduire indéfiniment sous forme indifférenciée et par leur multipotence, c’est-à-dire la capacité de produire tous les éléments du sang (globules rouges, lymphocytes, plaquettes etc.). Les CSH sont générées lors des toutes premières semaines du développement chez l’embryon, à partir d’un sous-ensemble de cellules spécialisées appelées cellules endothéliales hémogéniques.

Chez l’adulte, les CSH, localisées dans la moelle osseuse, sont largement utilisées dans le traitement des hémopathies (leucémies et certaines maladies génétiques du système sanguin). Cependant, les CSH sont rares, difficiles à identifier dans la moelle osseuse et essentiellement quiescentes chez l’adulte, ne s’activant qu’en fonction des besoins. Par ailleurs, nous manquons de protocoles qui permettent leur prolifération ex vivo (en culture) tout en gardant leur potentiel régénératif, ce qui limite énormément leur utilisation en clinique. 

A la recherche de nouvelles sources

Par conséquent, depuis plusieurs années, les chercheurs se concentrent sur des méthodes alternatives de production de CSH à partir de cellules souches pluripotentes (CSP) qui ont théoriquement la capacité de se différencier en tous les types de cellules spécialisées présentes dans l’organisme.

La production ex vivo de cellules souches hématopoïétiques à partir de CSP pourrait fournir une source de cellules transplantables pour le traitement des hémopathies, augmentant également la possibilité de réaliser une auto-transplantation au cours de laquelle le patient se fait greffer ses propres cellules, limitant ainsi le risque d’échec de la greffe. Cependant, la différenciation des CSP ex vivo ne génère aujourd’hui que des cellules progénitrices produisant uniquement certains éléments du sang, mais pas des véritables CSH multipotentes capables de produire tous les types de cellules sanguines. Ceci montre que les processus d’engagement et de différentiation cellulaire hématopoïétique sont encore imparfaitement connus et maîtrisés. Pour aborder ce problème, l’étude de l’émergence des CSH au cours du développement embryonnaire constitue une voie de recherche originale et prometteuse.

Mieux comprendre les mécanismes au stade embryonnaire

Des chercheurs de l’Inserm à l’Université de Strasbourg ont mené une étude en collaboration avec des chercheurs italiens du « San Raffaele Telethon Institute » à Milan pour comprendre comment les cellules sanguines se forment dans l’embryon humain et comment ceci est régulé au niveau moléculaire.

Afin d’identifier des marqueurs spécifiques des CSH, ces scientifiques ont établi le transcriptome des cellules de la région de l’embryon humain capable de générer les CSH. Ce faisant, ils ont découvert que le gène codant pour le récepteur de la région Fc des immunoglobulines G, CD32, est un marqueur de la population de cellules endothéliales hémogéniques. En utilisant des techniques de pointe, ils ont montré que ces cellules endothéliales triées chez l’embryon humain ou dérivées de la différenciation des CSP humaines en culture ex vivo présentent un fort potentiel pour produire des cellules sanguines.

Image de microscopie montrant l'émergence de cellules endothéliales hémogéniques marquées par CD32 dans l’embryon humain.
Émergence de cellules endothéliales hémogéniques marquées par CD32 (en jaune) dans l’embryon humain. Document fourni par Manuela Tavian.

Leur recherche montre que l’émergence des CSH passe par plusieurs étapes et que l’expression de CD32 marque une étape importante au cours de laquelle le processus d’engagement hématopoïétique est irréversible. Ces découvertes fournissent une méthode précise pour isoler les cellules endothéliales hémogéniques engagées vers un destin hématopoïétique qui émergent chez l’embryon humain in vivo ou dans les cultures de cellules CSP ex vivo.

Elles constituent donc une étape importante vers la production et la caractérisation de CSH ex vivo à des fins de transplantation chez les patients.

Ces découvertes sont issues d’un travail effectué dans l’unité 1113 IRFAC. 
Source
Scarfò, R., Randolph, L.N., Abou Alezz, M. et al. CD32 captures committed haemogenic endothelial cells during human embryonic development. Nat Cell Biol (2024). https://doi.org/10.1038/s41556-024–01403‑0