Une piste vers une pilule masculine efficace

Bloquer l’interaction entre deux protéines dans les précurseurs de spermatozoïdes pourrait permettre la mise au point d’une contraception masculine. Une découverte importante, et pourtant fortuite : initialement, les travaux qui en sont à l’origine portaient sur les cellules leucémiques...

Certains travaux de recherche peuvent réserver des découvertes totalement inattendues. Au Centre de recherche en cancérologie de Marseille, Michel Aurrand-Lions* en a récemment fait l’expérience : en travaillant sur des processus cellulaires impliqués dans les leucémies, lui et son équipe ont découvert une piste prometteuse pour le développement d’un contraceptif masculin. 

« Le cœur de nos travaux consiste à comprendre si un défaut d’expression ou de régulation de certaines protéines présentes à la surface des cellules, comme la protéine JAM‑C, explique l’évolution de cellules souches du sang vers une forme cancéreuse. Or, après avoir développé un modèle de souris qui n’expriment pas le gène codant pour JAM‑C, nous avions observé que tous les mâles étaient stériles ». Une découverte que les chercheurs ont voulu comprendre. Après avoir caractérisé les mécanismes biologiques incriminés, ils ont travaillé avec l’équipe de chimie biologie et biologie structurale intégrée, dirigée par le Dr Xavier Morelli, pour mettre au point un premier modèle de traitement visant à inhiber transitoirement la fertilité. Si ces travaux ont permis d’identifier un petit composé dont l’instabilité n’offre pas d’avenir thérapeutique, ils ouvrent néanmoins la voie au développement d’autres candidats médicaments, plus facilement manipulables et administrables. 

Une interaction protéique clé, qu’il suffirait de bloquer

Pour évoluer en spermatozoïdes matures, les cellules germinales masculines doivent suivre plusieurs étapes de division et de maturation cellulaires. Leur contenu doit notamment se polariser pour aboutir in fine à cet aspect en têtard, si caractéristique des spermatozoïdes. La protéine JAM‑C, à la fois présente à l’intérieur des cellules et à leur surface, semble indispensable au déroulement normal de cette étape, et donc à celui la spermatogenèse. « Pour comprendre en quoi ces deux localisations de la protéine sont indispensables, nous avons recherché les composants cellulaires interagissant avec JAM‑C et responsables de sa localisation dans les cellules germinales masculines. Nous avons ainsi identifié GRASP55 : cette protéine était déjà connue pour jouer un rôle dans la réorganisation d’un organelle intracytoplasmique des cellules en division. En inhibant l’expression du gène GRASP55, nous avons de nouveau observé que les mâles étaient stériles ». 

Comme on prend la forme d’une empreinte à l’aide de plâtre, les chercheurs ont pu caractériser la structure cristallographique de l’interaction entre JAM‑C et GRASP55 sur le plan tridimensionnel. Ils ont ensuite criblé par informatique plusieurs millions de composés à la recherche de celui qui pourrait s’y intercaler. C’est ainsi que trois molécules ont été identifiées. Des études conduites in vivo chez la souris à partir de la première d’entre elles, la graspine, ont permis d’observer le blocage transitoire de la spermatogenèse, associé à une bonne tolérance. « Des molécules plus stables doivent maintenant être développées à partir de ce motif de base », explique Michel Aurrand-Lions. Celles-ci seront développées par d’autres équipes que la sienne. Car de leur côté, le chercheur et ses collaborateurs reviennent à leurs premières amours : les cellules du sang. « L’inhibition de l’interaction entre JAM‑C et GRASP55 pourrait également intervenir dans l’évolution des cellules souches en certaines cellules leucémiques. Nous devons aujourd’hui explorer cette voie », conclut-il. 

Note 

* Unité 1068 Inserm/CNRS/Aix-Marseille Université, Institut Paoli-Calmettes, CRCM, Marseille. 

Source

A Cartier-Michaud et coll. Genetic, structural, and chemical insights into the dual function of GRASP55 in germ cell 2 Golgi remodeling and JAM‑C polarized localization during spermatogenesis. PLoS Genetics, 15 juin 2017