Pesticides : Et maintenant, que fait-on ?

Suite à son rapport de 2013 sur les liens entre pesticides et santé, l’Inserm a publié en juin dernier une nouvelle expertise collective qui présente des données actualisées, et inquiétantes. Cette somme met en lumière une association entre l’exposition aux pesticides et certaines maladies, notamment chez les agriculteurs. Au cours des ans, la force des données épidémiologiques a estompé les derniers doutes.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°51

Le sujet des pesticides demeure sensible, même si nos connaissances sur ce thème sont désormais robustes. Au même titre que les OGM, le nucléaire ou encore, il y a quelques années, le changement climatique, le consensus scientifique peine à se faire une place dans la sphère publique. Dans le brouhaha des croyances,de la méconnaissance, du lobbying et des récupérations politiques, les débats fondés sur les preuves sont encore trop rares. Ces preuves, la dernière expertise collective Inserm, réalisée par des chercheurs indépendants, contribue à les stabiliser. Elle confirme qu’il existe bien un lien – une présomption forte dira-t-on avec toute la rigueur nécessaire – entre l’exposition aux pesticides et certaines maladies.  Confirme , car cette expertise fait suite à celle de 2013.  Les niveaux de preuve ont été renforcés entre ces deux expertises grâce à la production de nouvelles connaissances, épidémiologiques et toxicologiques , résume Isabelle Baldi1, directrice de l’équipe bordelaise Épidémiologie des cancers et expositions environnementales (Epicene) et membre du collectif d’auteurs de l’expertise.

Huit années de données en plus

La revue de la littérature effectuée par le groupe portait sur trois types d’exposition : en milieu agricole professionnel, pendant la grossesse ou l’enfance, et chez les riverains des zones agricoles.  Chez les agriculteurs, en 2013, quatre maladies présentaient une présomption forte d’un lien avec l’exposition aux pesticides : le myélome multiple, le lymphome malin non hodgkinien, le cancer de la prostate et la maladie de Parkinson , rapporte la chercheuse.  En 2021, deux autres maladies s’y ajoutent : les troubles cognitifs et la BPCO/bronchite chronique.  Pour le lymphome non hodgkinien, les experts pointent un lien précis avec certaines substances actives, comme leDDT, un puissant antipaludéen connu pour avoir été la première cible des mouvements anti pesticides dans les années 1960 ; cancérigène et reprotoxique, il a été interdit en France en 1971 mais persiste encore dans certains sols. Autre nouveauté : le nombre de maladies classées avec un niveau de présomption moyen passe chez l’adulte de 4 à 9 ; on y trouve notamment la maladie d’Alzheimer ou encore les troubles anxiodépressifs. Les experts précisent enfin qu’en population générale, l’exposition de la femme enceinte à certaines familles de pesticides, en particulier les organophosphorés et les pyréthrynoïdes, des insecticides neurotoxiques, est liée à des troubles des développements neuropsychologique et moteur chez l’enfant.

Si tant de nouveaux des résultats ont été obtenus en l’espace de huit ans, c’est notamment grâce à la cohorte Agrican, créée par deux unités Inserm (Anticipe2 à Caen, et Epicene à Bordeaux).Elle regroupe environ 180 000 personnes suivies depuis 2005, et s’intéresse tout particulièrement à la santé des agriculteurs. Pour Jean-Noël Jouzel3, sociologue et directeur de recherche au CNRS, c’est le genre d’étude qui permet d’obtenir les résultats les plus solides d’un point de vue statistique.  À un niveau “agrégé”, c’est-à-dire qui compare et met en relation des études de cohorte comme Agrican, nous pouvons mettre en évidence des liens entre une exposition globale aux pesticides et certaines maladies ‚avec un niveau de confiance très élevé. C’est le cas de cette expertise. Mais si on change de focale et que nous nous intéressons à des substances spécifiques, le niveau de preuve diminue et les controverses rejaillissent immédiatement. C’est ce qui s’est passé pour le glyphosate, par exemple. 

Grimper l’échelle de la preuve

Étudier les effets sur la santé d’un produit commercial spécifique est de fait particulièrement ardu : à cette échelle, les études épidémiologiques ne sont généralement pas très puissantes sur le plan statistique. De plus, les données produites sont confrontées aux études toxicologiques fournies par l’industrie avant la mise sur le marché des produits, et qui identifient le seuil au-delà duquel le risque pour la santé humaine est inacceptable. De cette confrontation naissent les controverses : comment une substance peut-elle provoquer une maladie alors que ses données toxicologiques indiquent le contraire ? C’est oublier que les études toxicologiques réalisées pour la mise sur le marché ne tiennent pas compte de la réalité du terrain – comme le respect des dosages, des consignes d’utilisation et de sécurité, et de possibles effets cocktail. Autre difficulté : les études épidémiologiques, même robustes, n’indiquent pas toujours clairement la décision politique à suivre. D’ailleurs, que faudrait-il faire sur la base des résultats de l’expertise ? Interdire immédiatement les pesticides ? Cette option semble difficile à appliquer à court terme pour des raisons économiques, tant que les substances concernées ne sont pas substituables par d’autres dont on aurait prouvé l’innocuité par ailleurs. Or, il faut pourtant évaluer les produits au cas par cas si l’on souhaite agir concrètement sur le marché, l’usage et la réglementation. Devant ce paradoxe, l’expertise n’émet pas de recommandations.  Celles rédigées dans l’expertise collective de 2013 restent valables aujourd’hui, ce qui n’est pas très rassurant quant à leur impact, ironise Isabelle Baldi, qui liste toutefois deux grands objectifs. Améliorer la connaissance des expositions, et poursuivre des études sur le lien entre expositions et santé

Une question de méthode

De nouvelles méthodes sont heureusement mises au point pour révéler des liens plus fins entre exposition aux substances et maladies, avec des données rétrospectives.  De grands efforts de recherche ont été réalisés pour mieux mesurer les expositions et documenter l’exposome, soit l’ensemble des expositions à des facteurs environnementaux qu’un individu subit au cours de sa vie, explique Isabelle Baldi. C’est particulièrement vrai pour les études en milieu professionnel agricole. Un agriculteur en polyculture peut utiliser des dizaines de pesticides différents en une année ! Différents outils sont utilisés pour tenter de retracer ces expositions passées, en plus des questionnaires.  Ainsi, les matrices emplois-exposition, un type de base de données environnementales, fournissent une estimation de l’exposition à certains pesticides ou autres substances en fonction du métier. Quant aux matrices cultures-exposition, elles listent pour chaque culture (blé, maïs…) l’ensemble des pesticides susceptibles d’avoir été utilisés. C’est le cas de la matrice Pestimat développée par l’équipe d’Isabelle Baldi, qui permet d’estimer la fréquence, la probabilité et l’intensité des expositions aux pesticides dans divers contextes agricoles français depuis les années 1950.

En matière de prise de conscience des risques, le temps joue évidemment en faveur des données épidémiologiques, qui s’accumulent. En France et en Europe, les décideurs ont entrepris quelques actions… qui n’ont pas été, jusqu’à présent, couronnées de succès. Le plan Ecophyto, lancé en 2008 au lendemain du Grenelle de l’environnement, avait pour objectif de diminuer de moitié l’utilisation des pesticides. Las, elle a en fait augmenté de 22 % entre 2009–2011 et 2016–2018 en France. Restent quelques données encourageantes : l’utilisation des substances les plus dangereuses a diminué, de 15 % pour les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de niveau 1 (CMR 1) et de 9 % pour les CMR 2, et plusieurs ont été interdites. Au regard de l’urgence et du niveau de preuve désormais atteint, il faudra pourtant redoubler d’efforts.

Notes

  1. CIC 1401 Inserm/Université de Bordeaux
  2. unité 1086 Inserm/Université Caen-Normandie
  3. UMR 7116 CNRS/SciencesPo, Centre de sociologie des organisations (CSO)

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