PC SEC : les plasmocytes, garants de notre immunité

À l’Institut de Recherche Saint-Louis de Paris (laboratoire Écotaxie, micro-environnement et développement lymphocytaire, unité Inserm 1160 / Université Paris Cité), Marion Espéli dirige une équipe de recherche qui étudie les plasmocytes, une catégorie de globules blancs produisant des anticorps, et leurs interactions dans leur environnement cellulaire. Financés par l’Agence nationale de la recherche, ces travaux visent à mieux comprendre leur rôle et plus largement, les conséquences entraînées en cas de dérégulation.

Pour InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, elle nous explique en quoi ce projet, nommé PC SEC, est important pour notamment décortiquer les mécanismes mis en jeu dans certains cancers graves.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Marion Espéli : J’ai réalisé ma thèse au sein du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML), un laboratoire sous la tutelle de l’Inserm, au cours de laquelle j’ai travaillé sur les conséquences du développement précoce des lymphocytes B dans la moelle osseuse, un tissu qui se trouve à l’intérieur des os où sont produites les cellules du sang. Celle-ci obtenue en 2007, j’ai poursuivi mes recherches avec un post-doctorat mené à Cambridge (Royaume-Uni), cette fois-ci dédié à l’étape suivante de la vie des lymphocytes B : leur activation.

En 2014, de retour en France, j’ai monté un groupe de recherche à Clamart dans lequel j’ai commencé à me spécialiser dans l’étude du dernier stade de différenciation des lymphocytes B : les plasmocytes, cellules responsables de la sécrétion des anticorps, acteurs clés dans la réponse immunitaire de notre organisme lors d’une infection par un agent considéré pathogène.

En 2019, je suis arrivée à l’Institut de Recherche Saint-Louis et j’ai créé avec Karl Balabanian, directeur de recherche à l’Inserm, une équipe consacrée aux interactions entre les lymphocytes et leur environnement dans la moelle osseuse : un retour aux sources, en quelque sorte !

Lors de cette même année, vous avez obtenu un financement de l’ANR pour le projet PC SEC… En quoi consiste-t-il ?

M. E. : C’est un projet auquel j’ai commencé à penser quand j’étais encore en post-doctorat, mais qui a vraiment démarré à mon retour en France.

Récemment, nous avons beaucoup entendu parler de vaccination et d’anticorps, ces molécules qui nous protègent contre les infections mais qui peuvent également être pathologiques, notamment dans le cas de maladies dites « auto-immunes », c’est-à-dire qui se retournent contre nous. Toutefois, peu de personnes connaissent les cellules responsables de leur production : les plasmocytes. Comparables à de véritables micro-usines, il s’agit d’une catégorie particulière de globules blancs capable de produire plus d’un millier d’anticorps par seconde ! Leur fonctionnement, et l’origine de leur longue survie dans la moelle osseuse, demeurent à ce jour mal compris. Étant donné l’importance des anticorps en santé humaine, il me semblait nécessaire de comprendre comment les plasmocytes les produisent. Cela a été le point de départ de PC SEC.

Je me suis tout particulièrement intéressée à la protéine sec22b, une molécule fortement exprimée par les plasmocytes, afin de déterminer si celle-ci influait sur la sécrétion des anticorps et si oui, par quels mécanismes. Le rôle de cette protéine sur la survie des plasmocytes et sur la qualité de la réponse vaccinale est aussi un point clé de ces travaux. Enfin, une question était également en suspens : altérer la survie des plasmocytes ou la sécrétion d’anticorps affecte-t-elle les autres cellules dans la moelle osseuse ?

Êtes-vous parvenue à obtenir des résultats concrets ?

M. E. : En utilisant un modèle murin dans lequel les plasmocytes n’expriment pas sec22b, mes collaborateurs et moi-même avons pu confirmer certaines de nos hypothèses.

En son absence, les plasmocytes ne survivent pas : cela s’explique par une augmentation de la mort cellulaire des plasmocytes couplée à une diminution de leur prolifération. Plus précisément, nous avons montré que sec22b régule l’expansion et la structure du réticulum endoplasmique, un organite essentiel dans la production et la sécrétion des protéines. Sans elle, il est « distendu », entraînant une augmentation du stress cellulaire ainsi que l’induction d’une réponse physiologique dérégulée, conduisant à la mort cellulaire. La déformation du réticulum entraîne aussi des défauts d’interactions avec les mitochondries, principales actrices dans la production d’énergie nécessaire à la survie d’une cellule. Ces interactions altérées jouent sans doute aussi dans la faible survie des plasmocytes constatée. De plus, la production d’anticorps protecteurs après une vaccination ou après une infection, par exemple par la grippe, est totalement abrogée en absence de sec22b…

Sur un aspect complémentaire, une partie du projet PC SEC a été consacrée à l’étude de l’impact de l’absence des plasmocytes sur la moelle osseuse : les premiers résultats suggèrent une dérégulation de certaines populations cellulaires, laissant penser que les plasmocytes jouent un rôle majeur dans l’homéostasie de la moelle osseuse !

Enfin, je travaille également sur l’utilisation de modulateurs pharmacologiques de sec22b afin de cibler la production de ces mêmes plasmocytes. À terme, mieux connaître le fonctionnement de cette protéine permettra une meilleure appréhension de certaines maladies, notamment le myélome multiple, un type de cancer causé par une prolifération anormale des plasmocytes dans la moelle osseuse.

Ce projet s’est vraiment déroulé sur une longue durée, et a eu une forte dimension collaborative à l’international : de nombreuses équipes en France, mais aussi en Allemagne et au Royaume-Uni, ont apporté leur contribution et leur expertise. Il s’agit vraiment d’un bel exemple de solidarité entre scientifiques !

Comme vous l’avez indiqué, ce projet a été long… Selon vous, quelle serait donc la toute première qualité pour devenir chercheuse ?

M. E. : La persévérance ! C’est un métier où les recherches prennent du temps. Même si nous avons une idée très précise au départ, réussir à démontrer les hypothèses initialement émises relève plus du marathon que du sprint. Il peut y avoir des échecs et des frustrations… La minutie et la rigueur sont aussi des qualités indispensables à tous travaux de recherche. Évidemment, il nous faut aussi une bonne dose d’optimisme et de bonne humeur pour travailler en équipe !