PARKIN WOMEN : quand la maladie de Parkinson se conjugue au féminin

Chercheuse à l’Inserm depuis 2009, Marianne Canonico étudie les conséquences de différents facteurs hormonaux sur le risque de développer la maladie de Parkinson chez les femmes : caractéristiques de la vie reproductive, prise d’hormones… C’est au Centre de recherche en Épidémiologie et Santé des Populations de Villejuif (unité Inserm 1018 / Université Paris-Saclay / Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, CESP) qu’elle mène ses travaux, et notamment PARKIN WOMEN, un projet subventionné depuis 2018 par l’Agence nationale de la recherche.

À l’occasion d’InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, découvrez le portrait et le parcours de cette chercheuse engagée au service de la santé des femmes.

Vous décrivez votre parcours comme atypique…

Marianne Canonico : Intéressée par la biologie depuis ma jeunesse, je suis titulaire d’un doctorat en neuro-endocrinologie soutenu à l’université Paris-Sud en 2003, consacré au rôle des hormones sexuelles dans les cancers mammaires. À la suite de cette thèse, j’ai souhaité m’orienter vers l’épidémiologie et la santé publique et, comme de nombreux jeunes diplômés, je me suis ensuite interrogée sur la nécessité de partir à l’étranger ou non pour poursuivre en post-doctorat. Ayant déjà un jeune enfant et un second à venir, j’ai finalement choisi de rester sur la région parisienne, où j’ai travaillé aux côtés de Pierre-Yves Scarabin, qui dirigeait déjà à l’époque une équipe Inserm dédiée aux rôles des hormones dans l’épidémiologie des maladies cardiovasculaires chez les femmes. Son approche de travail, davantage tournée vers l’humain et moins centrée sur la paillasse, m’a beaucoup plu et influencé par la suite dans mes choix scientifiques. Il m’a vraiment incité à passer le concours de recrutement de l’Inserm, mais n’ayant pas suivi la voie classique du post-doc en dehors de la France, mon dossier n’était pas forcément prioritaire.

Je suis finalement partie à Oxford (Royaume-Uni) où j’ai travaillé pendant plusieurs mois sur une thématique très similaire. Cette année fut pleine de défis, durant laquelle j’ai du concilier mon activité professionnelle et ma vie de famille avec deux très jeunes enfants. Revenue en France en 2009, j’ai finalement été reçue au concours de l’Inserm et ai intégré le CESP où je travaille toujours aujourd’hui. Plusieurs restructurations scientifiques ont eu lieu entre temps, et j’ai rejoint en cours de route l’équipe co-dirigée par Alexis Elbaz, lui aussi chercheur au sein de l’Institut, sur un projet dédié à l’étude des facteurs hormonaux dans la maladie de Parkinson, dans une population spécifique de femmes.
Depuis 2020, notre groupe s’est joint à l’équipe Exposome, hérédité, cancer et santé, qui comporte près de 80 personnes.

Vous étudiez aujourd’hui les facteurs influençant le risque de développer la maladie de Parkinson chez les femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. C. : La maladie de Parkinson est la seconde pathologie neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer, et celle dont l’incidence est amenée à augmenter le plus au cours des prochaines décennies. À tout âge, le ratio homme-femme est d’environ 1.5, suggérant une relative immunité des femmes vis-à-vis de cette pathologie, sous-tendue par des résultats expérimentaux montrant que les oestrogènes pourraient jouer un rôle neuro-protecteur. Toutefois, peu d’études sont à ce jour disponibles concernant le rôle de l’exposition hormonale sur la maladie de Parkinson et les résultats demeurent contradictoires. C’est à cet aspect que je m’intéresse tout particulièrement dans le cadre de PARKIN WOMEN.

Après de longues années d’un travail de validation des événements, débutées par Alexis Elbaz et que j’ai ensuite rejoint, et avec la collaboration de deux neurologues, notre équipe a pu confirmer 1 200 cas incidents de maladie de Parkinson au sein de la cohorte E3N, une vaste étude prospective française réalisée chez près de 100 000 femmes âgées de 40 à 65 ans lors de l’inclusion en 1990, et toujours suivies par questionnaire postal. Ce nombre important de cas fait aujourd’hui d’E3N l’étude avec la plus grande envergure mondiale dans le domaine, et constitue une mine de données très précieuses pour nourrir nos investigations. Les rassembler ce a été une première étape essentielle qui me permet aujourd’hui d’étudier, en plus du rôle des hormones, l’implication potentielle d’autres facteurs dans la maladie de Parkinson : l’indice de masse corporelle (IMC), l’activité physique ou encore la prise de certains traitements.

À ce jour, que mettent en évidence vos résultats ?

M. C. : Dans un premier temps, il a fallu expliciter la méthodologie d’identification et de validation des cas de Parkinson employée afin de donner du crédit à notre estimation de l’incidence de la maladie en France. Ce procédé repose à la fois sur l’analyse de la documentation médicale mais également sur l’utilisation d’un algorithme spécifique en cas d’absence de dossier de la patiente. Nos chiffres étant cohérents avec ceux estimés dans les pays d’Europe de l’Ouest par un index de référence international (Global Burden of Disease), cela a conforté notre méthode de travail.

Nos principaux résultats concernent l’étude des associations entre les différentes caractéristiques de la vie reproductive, la prise d’hormones (on les dit alors « exogènes ») et la maladie de Parkinson chez les femmes de la cohorte E3N. Ces résultats, largement relayés dans les médias nationaux et européens, montrent que des régles précoces ou tardives, le fait d’avoir eu plusieurs enfants, ou encore une ménopause artificielle, surtout si elle est provoquée à un âge précoce, sont des facteurs associés à la maladie de Parkinson. Par la suite, nous espérons qu’ils pourraient aider à identifier des groupes à risque et avancer dans la compréhension des mécanismes impliqués dans la neurodégénérescence de la maladie.

Sous un autre plan, j’ai également étudié les effets protecteurs d’autres caractéristiques contre Parkinson : par exemple l’éventuel rôle joué par l’obésité et l’IMC, un lien qui reste très débattu dans la communauté scientifique. Les données récoltées à ce jour suggèrent que celle-ci aurait bien un rôle de protection, même quand elle est évaluée 20 ans avant la survenue de Parkinson, confirmant certaines données précédentes. Mais en parallèle, d’autres analyses indiquent que l’activité physique soutenue a elle aussi un effet préventif… Par ailleurs, dans un contexte où aucun traitement curatif n’est actuellement disponible, une étude de pharmaco-épidémiologie fondée sur les mêmes données a quant à elle mis en évidence un rôle bénéfique des statines lipophiles, des médicaments utilisés dans certaines maladies cardiovasculaires pour maîtriser son taux de cholestérol.

L’ensemble de ces résultats est bien sûr à approfondir, mais contribuent d’ores et déjà à renforcer progressivement notre connaissance de Parkinson.

Quel a été le moment le plus marquant de votre carrière de chercheuse ?

M. C. : Sans hésiter, mon recrutement à l’Inserm ! Avec le recul, c’est assez fou de se dire qu’on joue notre avenir sur un dossier de dix pages et un passage à l’oral... Je n’ai pas vraiment eu un parcours classique, mais je suis contente de constater que cela ne m’a pas empêchée de porter des projets qui me tenaient à cœur.

Ce qui vous plaît le plus dans votre quotidien ?

M. C. : J’apprécie vraiment la diversité de mes activités : en parallèle de mes recherches, j’assure un enseignement dans le Master 2 Recherche en Santé Publique à l’Université Paris-Saclay et suis également co-directrice de l’école doctorale de santé publique, aussi à l’université. Concilier ces différentes casquettes n’est pas toujours chose aisée, mais c’est ce qui fait aussi la richesse de mon métier !