Papillomavirus : faut-il généraliser la vaccination ?

En France, fin 2021, seules 45,8 % des jeunes filles de 15 ans et à peine 6 % des garçons du même âge avaient reçu au moins une dose du vaccin qui protège contre les infections par le papillomavirus humain (HPV), un virus responsable de cancers. Cette couverture vaccinale est parmi les plus faibles des pays industrialisés, très éloignée des objectifs fixés par la Stratégie nationale de santé sexuelle et le plan Cancer : 60 % chez les adolescentes âgées de 11 à 19 ans en 2023 et 80 % à l’horizon 2030. Dans ce contexte, le président de la République vient d’annoncer le lancement, dès la prochaine rentrée scolaire, d’une campagne de vaccination généralisée, pour tous les élèves en classe de 5e.

Le papillomavirus humain (HPV) est le principal facteur de risque du cancer du col de l’utérus, mais il est aussi à l’origine de cancers de la sphère ORL, de l’anus, de la vulve, du vagin et du pénis. Or il existe un vaccin qui permet de s’en prémunir. Cette vaccination est recommandée aux jeunes filles âgées de 11 à 14 ans (avec rattrapage jusqu’à 19 ans) depuis 2007, et aux garçons du même âge depuis le 1er janvier 2021. Elle est également préconisée pour les hommes ayant des relations homosexuelles et les personnes immunodéprimées. Est-il légitime d’inclure toute la population ? Quels sont les risques ? Et que sait-on des facteurs sociaux de l’hésitation vaccinale en France ? Trois experts croisent ici ces enjeux de politique publique, de pratique médicale et de société.

D’après un article paru dans le magazine de l’Inserm n°46 (mars 2020), actualisé en mars 2023

Élisabeth Bouvet : généraliser la vaccination, c’est aussi faciliter son acceptabilité

La Haute Autorité de santé (HAS) et sa commission technique des vaccinations recommandent la vaccination de tous les adolescents à partir de 11 ans contre le papillomavirus humain. Plusieurs types du HPV, très fréquents dans la population, sont responsables de verrues (condylomes) et de lésions dont une minorité engendre 6 000 nouveaux cas de cancers par an. Le HPV est la première cause de cancer de l’utérus, avec environ 3 000 cas par an, ce qui explique que les jeunes filles aient été ciblées en priorité. Or le HPV provoque environ 100 cancers du pénis, 1 350 cancers anaux, dont 350 chez les hommes, et 1 540 cancers de la sphère ORL, dont 1 180 chez les hommes. En outre, hommes et femmes souffrent de 100 000 nouvelles tumeurs bénignes par an, entraînant de nombreux gestes médicaux. Il n’y a donc pas lieu de ne cibler que les femmes en prévention individuelle, ni de faire reposer sur elles toute la charge de la lutte contre la transmission du virus. Au contraire, le HPV étant sexuellement transmissible, on restreint bien mieux sa circulation si les deux partenaires d’une relation hétérosexuelle ou homosexuelle sont vaccinés. Généraliser la vaccination, c’est aussi faciliter son acceptabilité : il est bien plus simple pour les médecins de proposer systématiquement ce vaccin à tous les adolescents lors d’une vague de rappels vaccinaux. Cette normalisation a des effets positifs dans tous les pays où elle pratiquée, dont les États-Unis. Par ailleurs, la consultation publique de la HAS a fait apparaître une demande des médecins et associations en ce sens.

En conséquence, la HAS recommande depuis décembre 2019 la généralisation de la vaccination anti-HPV à tous les adolescents de 11 à 14 ans, avec un rattrapage possible pour tous les jeunes de 15 à 19 ans révolus. Si cette recommandation s’est traduite dans le calendrier vaccinal, sa mise en œuvre reste encore timide : la couverture vaccinale progresse, surtout chez les filles, mais elle reste insuffisante. Aussi, la réalisation de campagnes de vaccination en milieu scolaire s’avère indispensable pour augmenter significativement la vaccination des jeunes gens des deux sexes.

Élisabeth Bouvet est présidente de la commission technique des vaccinations à la Haute Autorité de santé, à Saint-Denis.

Michel Cogné : un bénéfices/risques indiscutablement en faveur de la généralisation

Alors que la prévalence de l’infection par le HPV ne cesse de se réduire dans les pays de même développement que le nôtre, elle stagne en France à cause d’un taux de vaccination très faible. Toutes les jeunes filles sont loin d’être vaccinées, et tous les jeunes hommes devraient l’être aussi ! En effet, environ le quart des cancers induits par ce virus concerne des hommes. Ceux qui ont un plus grand nombre de partenaires sexuels sont les plus menacés. C’est notamment le cas de beaucoup d’hommes ayant des pratiques homosexuelles, chez qui la fréquence des cancers anaux est aussi plus importante. Mais en réalité, tout le monde est concerné par le papillomavirus et rien ne justifie de limiter la vaccination à un seul sexe ou à un type donné de sexualité. N’élargir la recommandation vaccinale qu’aux homosexuels, comme cela avait été fait en 2017, ce serait s’abstenir de vacciner avant l’âge du premier rapport sexuel et oublier que les hommes hétérosexuels sont eux aussi des cibles et des vecteurs du virus. Pour limiter la propagation, il faut vacciner tout le monde ! Le Royaume-Uni l’a compris : 84 % des garçons et des filles y sont vaccinés. Médecins et pharmaciens doivent aussi être bien informés pour relayer une information juste, et recommander une vaccination précoce (tout en coupant court à l’idée fausse que le vaccin contre le HPV deviendrait inutile dès qu’on a démarré sa sexualité). Sur Internet, une désinformation préoccupante à propos des vaccins fait obstacle à la santé publique : des groupes idéologiques anti-vaccins tentent ainsi d’occulter les énormes bénéfices de la vaccination derrière ses rares effets indésirables. Comme tout médicament actif, certains vaccins peuvent présenter quelques effets secondaires. Toute stimulation d’immunité, par un virus ou un vaccin, peut parfois induire des réactions immunoallergiques. Mais les risques sont mineurs au vu du bénéfice escompté. Pour prendre une comparaison automobile, on se rappellera que la ceinture de sécurité, même si c’est parfois au prix d’ecchymoses voire d’une fracture de la clavicule, peut surtout éviter à un automobiliste de mourir en traversant son pare-brise ! Pour revenir au vaccin contre le HPV, le calcul bénéfices/risques est indiscutablement en faveur de sa généralisation, en particulier avec la formule à neuf valences, qui protège contre les types les plus dangereux du virus.

Michel Cogné est immunologiste au laboratoire Microenvironnement et lymphocytes B : immunopathologie différentiation cellulaire et cancer (Mobidic, unité 1236 Inserm) à Rennes.

Fadia Dib : l’implication des généralistes, un levier pour vaincre l’hésitation vaccinale

Pour comprendre les déterminants de l’hésitation vis-à-vis du vaccin anti-HPV, une enquête téléphonique a été réalisée en France métropolitaine en avril 2021, auprès d’un échantillon représentatif de 1 102 mères de filles âgées de 11 à 14 ans. Les facteurs les plus fortement associés à l’absence de vaccination anti-HPV de ces jeunes filles étaient liés à leur âge, réel ou « ressenti » par leur mère. D’une part, plus elles étaient jeunes et moins elles avaient de chance d’avoir été vaccinées : dans cet échantillon, la probabilité d’être vaccinée à 11 ans était 83 % plus faible que celle de l’être à 14 ans. D’autre part, quel que soit leur âge, le fait que les mères pensent qu’elles étaient trop jeunes pour être vaccinées contre une infection sexuellement transmissible réduisait de 84 % leur chance d’avoir reçu le vaccin. Cette étude a aussi pointé deux facteurs positivement associés à la vaccination : lorsqu’une mère pense que les médecins voient la vaccination comme une bonne idée, leur fille a 5 fois plus de chance d’être vaccinée que dans le cas contraire. Et le fait que les mères aient interrogé leur médecin traitant sur ce sujet multiplie par 3 la probabilité que leur fille reçoive le vaccin. Enfin, ce travail a conduit à l’identification d’importantes méconnaissances des mères interrogées relatives à l’infection HPV. Par exemple, seules 20 % d’entre elles considéraient – à juste titre – que les infections HPV peuvent causer des cancers ORL, et moins de la moitié savaient qu’avoir des relations sexuelles à un jeune âge augmente les risques de contracter une infection HPV.

Plusieurs recommandations peuvent être formulées à la lumière de ces résultats. Parmi les leviers à actionner, abaisser le seuil d’éligibilité à la vaccination anti-HPV à l’âge de 9 ans permettrait de la dissocier de la sexualité, et ainsi d’en faciliter l’acceptation. Cette question de l’âge seuil n’est pas nouvelle : en 2012, face à une couverture vaccinale très insuffisante chez les jeunes filles de 14 ans, l’âge initialement ciblée en 2007, le Haut Conseil de la santé publique s’était autosaisi et avait rendu un avis en faveur de l’élargissement de cette vaccination aux 11–14 ans. L’intérêt d’un nouvel abaissement de l’âge ciblé est corroboré par la littérature scientifique et avancé par les sociétés savantes américaines. En parallèle, les autres leviers actionnables sont le renforcement de la formation et de l’implication des médecins généralistes dans la recommandation de vacciner contre les HPV, ainsi que la réalisation de campagnes de communication destinées au grand public, ciblant non seulement les parents mais aussi les adolescents.

Fadia Dib est médecin de santé publique à la direction générale de la Santé et ancienne doctorante à l’institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Iplesp, unité 1136 Inserm) à Paris.

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