Paludisme : l’immunopeptidome au secours de la recherche vaccinale

Parce que le parasite responsable du paludisme réussit à moduler l’activité de notre système immunitaire, la maladie répond mal aux vaccins jusqu’à présent développés contre lui. Dans ce contexte, des chercheurs de l’Inserm proposent aujourd’hui une approche innovante pour l’identification de nouvelles cibles vaccinales. Elle passe par la mise en évidence d’antigènes spécifiquement présentés et reconnus par l’immunité cellulaire.

Les Plasmodium, parasites responsables du paludisme, sont des agents infectieux difficiles à combattre ; en témoigne la lente immunité acquise au cours du temps par les populations qui y sont exposées de façon chronique, ou l’importance des formes sévères et fatales au plus jeune âge. Le parasite est en effet capable de limiter l’activité de processus immunitaires indispensables à une production rapide et efficace d’anticorps.

L’activité d’une catégorie de cellules du système immunitaire, les lymphocytes CD4 (LT CD4), est particulièrement perturbée chez les patients infectés : d’une part, ces cellules sont incapables de contribuer efficacement à la production d’anticorps protecteurs. D’autre part, elles s’avèrent localement trop actives dans les formes graves (neuropaludisme), produisant des cytokines inflammatoires en excès. Cette dualité n’est pas une fatalité, si l’on est capable de dissocier les deux mécanismes et de rétablir le premier en limitant le second. C’est dans cet objectif qu’a travaillé l’équipe de Nicolas Blanchard*, en collaboration avec d’autres équipes Inserm** et hospitalo-universitaires. 

Le moustique femelle Anopheles gambiae transmet le parasite du paludisme lors d'un repas sanguin © Inserm/EMBL/Blandin, Stéphanie/Panagiotidis, Christine
Le moustique femelle Anopheles gambiae transmet le parasite responsable du paludisme lors d’un repas sanguin. Le paludisme est une maladie infectieuse due à un parasite du genre Plasmodium, propagé par la piqûre de certaines espèces de moustiques anophèles. ©Inserm/EMBL/Stéphanie Blandin/Christine Panagiotidis, 

À partir d’un modèle animal, les chercheurs ont utilisé une approche de protéomique permettant d’identifier les antigènes que les cellules dendritiques – les sentinelles du système immunitaire – présentent aux LT CD4. Ils ont ainsi pu identifier ceux qui étaient majoritairement responsables de l’activation des lymphocytes. Les chercheurs ont également décrit quel sous-type de cellules dendritiques était principalement impliqué dans la présentation de ces peptides antigéniques. « Cette approche, inédite dans le paludisme, offre une meilleure compréhension de la modulation immunitaire qui se produit au cours de la réponse au paludisme, explique Nicolas Blanchard. Ce concept, développé sur un modèle animal, doit maintenant être transposé chez l’homme, en conduisant la même analyse à partir de cellules impaludées humaines. Nous pouvons espérer qu’elle aboutira à l’identification de nouvelles cibles vaccinales et à un tri plus efficace de ces cibles ».

Preuve de concept

La protéomique consiste à caractériser l’ensemble des protéines constituant par exemple une cellule. Appliquée à l’étude des peptides antigéniques présentés par les cellules dendritiques, cet ensemble de protéines est nommé immunopeptidome.

« Les cellules dendritiques internalisent les débris du parasite, les décomposent en peptides et les expriment à leur surface pour activer les lymphocytes » explique le chercheur. Dans ce travail, son équipe a recueilli des cellules dendritiques exposées à des globules rouges parasités par Plasmodium berghei. Après avoir spécifiquement récupéré les peptides antigéniques présents à leur surface, les chercheurs les ont caractérisés par spectrométrie de masse. « Nous avons identifié 14 antigènes, dont trois semblent responsables de plus de 30 % de l’activation lymphocytaire CD4, poursuit Nicolas Blanchard. Dans une seconde étape, nous avons pu déterminer qu’un sous-type de cellules dendritiques, les DC1, est supérieur à toutes les autres cellules immunitaires pour assurer cette activation ». Une donnée importante puisque jusque-là, les DC1 étaient surtout connues pour activer l’immunité cellulaire dépendant des LT CD8.

« Nous ne prétendons pas que les 14 antigènes identifiés sont les seuls ou les mêmes que ceux qui seront impliqués dans le paludisme humain causés par le Plasmodium falciparum. Mais la cartographie de l’immunopeptidome a permis d’identifier les antigènes et les cellules présentatrices de l’antigène les plus déterminantes dans la réponse immunitaire à l’infection. Cette approche peut aider à identifier de nouvelles cibles vaccinales ». L’enjeu est de taille : après des décennies de recherche dédiée, le paludisme continue à infecter 200 millions de personnes à travers le monde et à provoquer annuellement le décès de 400 000 personnes, majoritairement des enfants... 

Le paludisme – documentaire – 15 min – vidéo extraite de la série Grandes Tueuses (2016)

Notes :

* unité 1043 Inserm/CNRS/Université de Toulouse, Centre de Physiopathologie Toulouse Purpan 

** unité 1104 Inserm/CNRS/Aix-Marseille Université (Centre d’immunologie de Marseille- Luminy), unité 1019 Inserm/CNRS/Institut Pasteur Lille/Université Lille 1 et 2 (Centre d’Infection et d’Immunité de Lille), unité 1201 Inserm/CNRS/Institut Pasteur Paris (Unité de biologie des interactions hôte parasites), unité 1135 Inserm/UPMC (Centre d’Immunologie et des Maladies Infectieuses)

Source

Draheim M et coll. Profiling MHC II immunopeptidome of blood-stage malaria reveals that cDC1 control the functionality of parasite-specific CD4 T cells. EMBO Molecular Medicine (2017) e201708123. Publié le 21 septembre 2017. DOI :10.15252/emmm.201708123 |