Oui, les enfants dyspraxiques utilisent les concepts mathématiques !

Les enfants atteints d’un trouble de la coordination motrice d’origine développementale – la dyspraxie – présentent, malgré une difficulté à évaluer les quantités numériques d’une manière précise, la capacité à organiser les nombres de façon linéaire.

Retour sur une expérience « simple et astucieuse » qui a été conduite par Caroline Huron, chercheuse en sciences cognitives, et son équipe* : les chercheurs ont demandé à deux groupes de 20 enfants âgés de 7 à 10 ans (un groupe d’enfants dyspraxiques et un groupe sans particularité développementale) d’évaluer à quel nombre correspondait une marque verticale placée sur une ligne numérique horizontale allant de 0 à 100. Leurs mouvements oculaires ont été enregistrés simultanément lors de la réalisation de l’exercice. Résultat : les enfants dyspraxiques, qui ont un déficit de coordination motrice, estiment les nombres de manière moins précise que ceux du groupe témoin. Néanmoins, et là est la surprise, ils organisent ces nombres en fonction d’une échelle linéaire dont les valeurs sont équidistantes (la distance entre 8 et 9 est la même que celle entre 98 et 99). Ce n’est pas le cas des enfants dyscalculiques qui, comme les jeunes enfants, les répartissent de façon logarithmique, en surévaluant les petites quantités par rapport aux grandes. Il existe donc chez les enfants dyspraxiques une imprécision de la perception des quantités numériques, mais qui ne les empêche pas de résoudre cette tâche… 

Concepts et stratégie

« Le sens du nombre est perturbé chez les enfants dyspraxiques, mais pas leur compréhension des concepts » affirme Caroline Huron, rappelant que l’idée de départ avait été d’explorer les difficultés en mathématiques des enfants dyspraxiques, à l’aide d’outils permettant d’évaluer la cognition numérique. « La dyspraxie est un trouble assez peu étudié au niveau cognitif » observe-t-elle. « Même si nous en avions l’intuition, nous avons pu démontrer que, bien que le système éducatif impose la pose des opérations comme première étape incontournable, interdisant la résolution de problèmes sans la maîtrise de cette compétence, les enfants dyspraxiques peuvent accéder directement à la seconde étape ! » résume-t-elle. Aussi, si l’on considère que 88% de ces enfants ont des difficultés en mathématiques, c’est « sans compter » qu’ils disposent d’un accès aux concepts mathématiques... qu’ils peuvent mobiliser pour résoudre des problèmes. 

Le cartable fantastique : une association et une application directe des résultats scientifiques

Créée en octobre 2010 par Caroline Huron, l’association le Cartable Fantastique a pour mission de faciliter l’apprentissage des enfants dyspraxiques, grâce à des supports spécifiquement créés pour les aider dans leur vie quotidienne. En septembre 2014, l’association jusqu’alors fondée sur le bénévolat a pris un tournant pour changer d’échelle avec la mise à disposition par l’Inserm de sa fondatrice à son service, pour deux ans. Lauréate du programme La France s’engage en mars 2015, l’association s’est professionnalisée et conçoit des bases d’exercices et des outils numériques dédiés aux enfants dyspraxiques. En charge des aspects scientifiques et de l’apport des connaissances autour de la dyspraxie, Caroline Huron précise « nous venons en appui des politiques publiques et avons des liens forts avec les associations de familles, mais notre cible reste les enseignants afin de faire entrer les aménagements nécessaires aux enfants dans les classes ». De retour au laboratoire, la présidente de l’association se réjouit de cette application très concrète des travaux de recherche de son équipe, en particulier à travers des jeux conçus pour améliorer le sens du nombre. 

Note

*unité 992 Inserm/CEA/Université Paris Sud, Neuroimagerie cognitive / NeuroSpin, Gif-sur-Yvette 

Source

A Gomez et collNumerical abilities of school-age children with Developmental Coordination Disorder (DCD): A behavioral and eye-tracking Study. Hum Mov Sci, édition en ligne du 31 août 2016