Notre santé dépend de la diversité du monde naturel

L’environnement n’est plus considéré comme un vaste et charmant décor dont l’Homme dispose afin d’assurer son développement. Comme nous le rappelle un rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), publié en mai dernier, santé humaine, santé animale et santé environnementale ne se conçoivent pas l’une sans les autres. Nous altérons la biodiversité ? Elle nous le fait payer en retour.

Un article à retrouver dans le Magazine de l’Inserm n°43

Le lien de dépendance qui unit Homo sapiens aux autres espèces est encore largement ignoré. Il faut dire que dans les sociétés modernes, il apparaît de manière indirecte. Derrière la juteuse tomate d’import, la bouteille d’eau minérale naturelle et le cachet de codéine, se cachent des organismes décomposeurs, producteurs, pollinisateurs, prédateurs, qui à travers leur diversité contribuent à l’équilibre des écosystèmes. Lorsque ces derniers subissent une pression trop importante, c’est notre accès à la nourriture, à l’eau potable, à un air pur et à des substances au potentiel thérapeutique qui est mis en péril. La diffusion des maladies infectieuses émergentes est, quant à elle, favorisée : 75% d’entre elles trouvent leur origine dans le monde animal. 

Si ces phénomènes d’ampleur planétaire demeurent impalpables pour un habitant des pays riches – tant que son accès aux médicaments et produits de consommation est maintenu – ceux qui se déroulent à l’échelle microscopique ont également du mal à attirer son attention : la diversité biologique est pourtant déterminante pour l’efficacité du microbiote humain, cet ensemble de communautés microbiennes qui vivent en symbiose sur notre peau, dans notre tube digestif, nos voies respiratoires… et influencent notre susceptibilité aux maladies. Pourtant, pour qui sait les observer, les liens entre santé et biodiversité n’ont rien d’invisibles.

Croire pour voir

En l’an 2000, l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, un travail d’expertise commandé par l’ONU, a évoqué pour la première fois la vulnérabilité des populations face à l’érosion de la biodiversité sous l’angle de la santé. Hélas, la notion de santé environnementale ne s’est pas imposée depuis. Non seulement elle n’est apparue que très récemment dans le droit à l’environnement, mais elle peine encore à faire son chemin dans les sciences biologiques. Comment expliquer ce retard ? « Le sujet est très transversal et donc difficile à aborder pour les disciplines académiques, qui sont encore structurées de manière très rigide. Il faudra du temps pour que l’interface entre biodiversité et santé soit mûre, comme c’est aujourd’hui le cas entre climatologie et écologie », explique Olivier Dangles, directeur adjoint du département Écologie, biodiversité et fonctionnement des écosystèmes continentaux, à l’Institut de recherche pour le développement. « Les approches interdisciplinaires et intégrées sont pourtant indispensables pour cerner les problèmes et prendre des décisions. Quand un médecin étudie les effets d’un espace vert sur la dépression, il se limite souvent à l’observation de corrélations entre un indicateur de biodiversité – comme la densité d’arbres – et le bien-être humain. Un écologue, quant à lui, soulèvera d’autres questions : qu’est-ce qui est le plus important, le couvert végétal, la présence d’un plan d’eau, ou la diversité des espèces dans l’espace urbain ? Faut-il quadriller les villes de parcs créés uniquement pour le bien-être humain, sans considérer leurs fonctions écologiques ? » À l’inverse, négliger d’intégrer la santé environnementale dans les approches écologiques peut avoir des conséquences sanitaires graves. « Nous ne pouvons pas favoriser une espèce menacée sur un territoire en prenant exclusivement en compte des objectifs de conservation. Favoriser la croissance d’une population de mammifères sur un territoire péri-urbain, par exemple, peut entraîner une augmentation du nombre de tiques, avec un risque infectieux potentiel pour les humains », précise le chercheur. L’objectif est de considérer les espaces non pas comme des réserves d’espèces naturelles, mais comme le lieu où interagissent droit, usages humains et écosystèmes. 

Le monde naturel ne suffit pas

Favoriser une approche qui prend systématiquement en compte santé publique, animale et environnementale suffira-t-il à établir des scénarios fiables sur la santé humaine ? Pour Claire Lajaunie*, juriste, directrice de recherche Inserm au Centre d’études et de recherches internationales et communautaires d’Aix-en-Provence, ce sera impossible tant que nous ne tiendrons pas compte des effets des politiques publiques et de la réglementation dans les approches scientifiques. « Elles ont une influence considérable sur les changements environnementaux, en positif ou en négatif. La gouvernance est un facteur aussi important à prendre en compte que le changement climatique », défend la chercheuse, qui étudie les répercussions du droit, des politiques publiques et des changements environnementaux sur la santé au travers des maladies infectieuses. 

En Asie du Sud-Est, Claire Lajaunie a entrepris d’observer les organisations régionales qui produisent des politiques en environnement et/ou en santé à différentes échelles géopolitiques, afin de cartographier leurs compétences, relations et collaborations, en s’appuyant sur la fouille de textes juridiques et de documents stratégiques. À terme, cette approche pourrait permettre de prédire la force de frappe de ces organisations. « Nous considérons d’abord les objets d’étude des écologues, dans leur contexte et à leurs échelles respectives. Ensuite, nous proposons un modèle qui permette de déterminer comment la réglementation va influencer les phénomènes écologiques observés, grâce à des cas d’étude, décrit la juriste. Par exemple, les rongeurs porteurs de maladies infectieuses se déplacent sous l’influence du changement climatique, de la fragmentation des habitats, mais également sous l’effet des politiques agricoles. C’est le cas au nord de la Thaïlande, où, l’agriculture vivrière est remplacée par l’agriculture commerciale. » Mais à quel moment peut-on décider d’extrapoler à une échelle globale un modèle qui fonctionne à l’échelle locale ? « C’est encore très difficile. Nous commençons tout juste à poser des jalons de méthodes scientifiques pour étudier l’influence du droit de l’environnement sur le réel, et le défi est très enthousiasmant », se réjouit Claire Lajaunie. 

Grimper à la plus petite échelle

Les relations entre santé et biodiversité sont si complexes qu’on ne peut les étudier sans les rendre un peu schématiques – en réduisant les écosystèmes aux services qu’ils fournissent, ou les espèces aux fonctions biologiques qu’elles assurent dans leur milieu. Parfois, il faudra même donner un prix en dollars à un hectare de forêt tropicale pour inciter les organisations à prendre en compte sa valeur écologique. Mais la prise de conscience des liens entre biodiversité et santé ne suffit pas. Comment agir ? Les parties à la Convention sur la diversité biologique réunies à Aichi, en octobre 2010, ont certes gravé un objectif dans le marbre. Cependant, celui-ci demeure extrêmement vague, voire ambigu : « D’ici à 2020, les écosystèmes qui fournissent des services essentiels […] et contribuent à la santé […] seront restaurés et sauvegardés, compte tenu des besoins des femmes, des communautés autochtones et locales, et des populations pauvres et vulnérables. »

Selon Olivier Dangles, il faut avant tout rapprocher médecins, écologues, juristes, physiciens, et leur donner les moyens de travailler ensemble, puis croiser les objectifs de développement durables avec des thématiques de santé et d’environnement, au cas par cas. « C’est ce qu’on appelle l’approche en nexus : les enjeux de développement durables tels que la lutte contre la faim ou la protection de la biodiversité sont rarement isolés. Au lieu de les traiter individuellement, il est indispensable de considérer leurs possibles interactions et synergies. Prenons les insectes, par exemple. Dans certaines régions d’Afrique, ils représentent une menace pour la santé et les récoltes, mais il est aussi possible de les collecter pour pallier des problèmes de nutrition, puis d’industrialiser leur production afin de stimuler l’économie locale par la création d’entreprises », explique le biologiste. 

De même, il faudra sans doute renoncer à intégrer toutes les échelles écologiques aux scénarios sur la santé : le temps des grandes descriptions globales est peut-être terminé. « Les indicateurs de pauvreté, de température, de salinité n’ont de valeur que dans un contexte précis. Pour être utiles, il faut que les scientifiques, gestionnaires, décideurs, mais aussi les citoyens, se les approprient sur le terrain, à l’échelle qui leur convient, afin de tester des hypothèses, ajoute-t-il. C’est par la pratique que notre dépendance totale à la nature nous apparaîtra, enfin. »

Note :
*Inserm/DICE UMR CNRS/Université d’Aix Marseille ; chercheuse associée au Strathclyde Centre for Environmental Law and Governance, Strathclyde University, Glasgow