Neurosciences : L’attention, une question de rythme ?

La mécanique interne du cerveau est complexe et mystérieuse, notamment en ce qui concerne les interactions entre perception, cognition et action. Mais une étude récente révèle pourquoi nous avons une préférence pour percevoir certains rythmes musicaux et pourquoi audition et vision n’obéissent pas aux mêmes lois.

Un article à retrouver dans le n°47 du magazine de l’Inserm

Quel lien y a‑t-il entre capacité d’attention et rythme ? En quoi le mouvement influence-t-il la perception auditive et visuelle ? Comment se couplent et s’articulent au niveau du cerveau la perception et l’action ? L’équipe de Benjamin Morillon* au sein de l’Institut de neurosciences des systèmes à Marseille, qui regroupe des neurologues, des orthophonistes et d’autres chercheurs parfois musiciens, se penche sur ces questions, au travers d’une approche multidisciplinaire étudiant la dynamique cérébrale. 

Dans un récent travail publié dans Nature Communications, les chercheurs marseillais ont ainsi exploré la notion d’attention, auditive et visuelle, dans le temps et avec ou sans mouvement. « On peut penser que l’attention est stable, explique Benjamin Morillon. Or celle-ci fluctue dans le temps, s’adaptant à l’environnement pour extraire le bon signal du bruit. » Pour caractériser l’attention temporelle pendant la perception auditive et visuelle, les chercheurs ont mis en place six expériences comportementales qui impliquaient différents groupes de personnes. Il s’agissait d’expérimentations sonores utilisant différents rythmes et sons, auxquels s’ajoutaient parfois des stimuli visuels, une action de tapotement en rythme et une mise en mouvement, le tout mesuré et analysé en temps réel. 

Un “tuning” du cerveau pour mieux percevoir l’environnement

Leurs résultats inédits montrent que la capacité d’attention est limitée dans le temps et variable selon les sens, et que la performance auditive est améliorée lorsque la perception est couplée à un mouvement. « Nous avons montré qu’il existe une préférence temporelle auditive à 1,5 Hz, qui est le rythme “naturel” du mouvement chez l’humain, précise Benjamin Morillon. Cela explique sans doute qu’on danse sur des sons, mais pas sur des vidéos, car la préférence temporelle visuelle n’est pas compatible avec les rythmes des mouvements. » L’équipe a modélisé ses résultats grâce à un triple oscillateur, représentant le cortex moteur, le cortex sensoriel et le stimulus extérieur. « Il s’agit d’une sorte de mécanisme d’horlogerie avec des roues dentées qui tournent en produisant un signal et qui doivent avoir des vitesses proches pour que cela fonctionne sans frottement, explique le neuroscientifique. Ce modèle réplique les phénomènes que nous avons observés et reflète la bonne synchronisation entre le traitement auditif et le cortex moteur. Le rythme de la vision est plus lent, et ne se couple pas naturellement avec le système moteur. »

« Il y a un véritable “tuning” du cerveau pour mieux percevoir l’environnement, optimiser la gestion des flux sensoriels (visuels, auditifs…) et adapter les actions. Mais cette adaptation est aussi limitée par des rythmes intrinsèques, ceux du cortex moteur et du cortex sensoriel notamment », s’enthousiasme Benjamin Morillon. Les résultats obtenus confortent des expérimentations cliniques déjà en cours autour, par exemple, de la maladie de Parkinson où le son devient un facilitateur du mouvement. Les chercheurs de l’institut marseillais travaillent quant à eux avec des enfants sourds ou dyslexiques pour renforcer le couplage naturel entre cortex moteur et perceptif. La perception et la production de rythmes pourraient ainsi constituer une stratégie de réadaptation face à des problèmes langagiers. 

Note :
* unité 1106 Inserm/Aix-Marseille Université, équipe Dynamique des processus cognitifs, Institut de neurosciences des systèmes 

Source : A. Zalta et al. Nat Commun., 26 février 2020 ; doi : 10.1038/s41467-020–14888‑8