Muscler le mental… des sports collectifs !

En vue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, les sports collectifs ajoutent une corde à leur arc : la recherche en psychologie ! Une démarche portée par le projet Team Sports. Son objectif : optimiser scientifiquement la dynamique de groupe pour performer en équipe.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°60

Se hisser au plus haut niveau de son sport nécessite de travailler son physique et sa technique, mais aussi son mental. Or, si la dimension mentale est encore souvent associée à la performance individuelle, elle commence à intégrer les sports collectifs comme en témoigne Team Sports, financé depuis 2019 dans le cadre du Programme prioritaire de recherche Sport de très haute performance de France 2030. « Ce projet vise à développer des moyens d’optimiser la dynamique de groupe comme levier de la performance dans cinq sports collectifs olympiques : le basket, le football, le handball, le rugby et le volley. À cette fin, cinq laboratoires collaborent pour étudier cette dynamique au travers des processus identitaires, c’est-à-dire des mécanismes psychologiques qui font qu’un individu se sent plus ou moins affilié à son groupe. On parle de la dynamique qui s’établit entre le “nous” et le “je” », décrit son coordinateur Mickaël Campo, chercheur en psychologie du sport à l’université de Bourgogne à Dijon et responsable de la préparation mentale à la Fédération française de rugby. Le recueil de données est quasi terminé et les premiers résultats émergent.

Romuald Lepers de l’unité Inserm Cognition, action et plasticité sensorimotrice (CAPS) dans la même université a ainsi démontré l’effet de ce positionnement sur la performance en endurance : « Contrairement à ce que nous avions envisagé, les performances physiques individuelles sont meilleures lorsque les sportifs “concourent” pour eux-mêmes, mais la sensation d’avoir une chance de réussite est supérieure quand ils poursuivent une performance collective. » « Ce dernier point suggère un effet protecteur du groupe vis-à-vis d’une contre-performance », complète Mickaël Campo. Des résultats qui pourraient avoir un double écho sur le terrain. « Si un match débute en tapant très fort, à la mi-temps, il y aurait sans doute intérêt à avoir un discours centré sur le “nous” pour éviter de craquer sous la pression par la suite, poursuit le chercheur. Inversement, lors de séances de préparation physique très dures, il vaudrait mieux mettre les joueurs au “je”. »

La réalité virtuelle, source d’émotions

Coté émotions, « être centré sur soi tend à renforcer leur perception négative, indique-t-il. Si un joueur trouve que son anxiété est néfaste pour sa performance, il va penser qu’elle l’est beaucoup plus quand il est au “je”. » Ce résultat fait écho aux travaux de Florent Lebon également de l’unité CAPS. « Nous évaluons en quoi les émotions influencent la capacité du sportif à arrêter son geste, ce qui se traduirait sur le terrain par ne pas faire une passe », explique le chercheur, qui étudie aussi la performance technique. « Répéter mentalement un geste plusieurs fois permet au sportif de progresser, poursuit-t-il. Nous souhaitons donc vérifier si le plonger en même temps dans divers contextes, grâce à l’outil de réalité virtuelle mis au point par l’institut Image à Chalon-sur-Saône, améliore plus ses performances que lorsqu’on lui demande juste d’imaginer ces situations. » En outre, « cet outil très innovant, car il inclut des échelles psychométriques [qui recueillent le ressenti de l’utilisateur, ndlr.], pourra aussi servir à préparer émotionnellement les joueurs à une variété d’environnements – chants de supporters, carton jaune, ambiance d’un stade olympique… – afin d’éviter qu’ils se fassent surprendre sur le terrain », précise Mickaël Campo.

Toujours en matière d’innovation technologique, l’institut CEA-List à Paris-Saclay a développé un outil d’évaluation automatique, grâce à la vidéo, de la dynamique de groupe. « Il a fallu trois ans de travail et la mise au point de quatre algorithmes car non seulement nous devons distinguer chaque joueur y compris quand ils se superposent, mais les indicateurs d’une bonne dynamique varient d’un sport à l’autre ! » souligne Mickaël Campo, qui a, lui, élaboré un outil de mesure du stress collectif. « Il est utilisé pour préparer et débriefer les matchs, mais nous avons aussi les informations quasi en temps réel. Ainsi, lors du quart de finale de la dernière Coupe du monde de rugby, même si l’équipe de France dominait au score, on voyait qu’elle perdait le rapport de force psychologique, et ce parce qu’elle rendait trop de ballons à l’Afrique du Sud », relate-t-il tout en précisant que ce n’est pas la seule raison de la défaite…

Team Sports sur le terrain

Les connaissances issues de Team Sports sont encore peu publiées, confidentialité pré-JO oblige, mais leur transfert vers les fédérations a déjà débuté, avec en fer de lance celle de rugby dont les staffs sportifs sont convaincus de longue date de leur utilité pour les équipes de France. Ainsi, comme en témoigne Jérôme Daret, entraîneur du 7 masculin : « Je suis très demandeur de ces outils scientifiques car le rugby à 7 est la “Formule 1” du rugby : le moindre ballon est une opportunité de marque qui nécessite une prise de décision rapide et précise, sous haute pression. Il est donc important de pouvoir réguler les émotions dans un laps de temps très court. Enfin, plus largement, ces outils permettent de mieux exploiter notre ressenti du bord des terrains et d’éviter de commettre des erreurs ! »

Avec Team Sports, les sports collectifs français se sont donné les moyens d’avoir une longueur d’avance, mais Mickaël Campo tempère : « L’exploitation de ces connaissances et leur transfert aux entraîneurs sont longs. Peut-être qu’elles porteront encore davantage leurs fruits… à la Coupe du monde de rugby de 2027 et aux JO 2028. »

  • Team Sports : Psy-Drepi (université de Bourgogne) ; Cognition, action, et plasticité sensorimotrice (unité 1093 Inserm/Université de Bourgogne) ; Centre d’études des transformations des activités physiques et sportives (Université de Rouen Normandie) ; Institut Image (Ensam) ; CEA-List (CEA)
    • Mickaël Campo : laboratoire Psy-Dynamiques relationnelles et processus identitaires (Psy-Drepi)
    • Romuald Lepers et Florent Lebon : unité 1093 Inserm/Université de Bourgogne

Autrice : F. D.-M.

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