Mieux comprendre l’origine de l’infarctus au féminin

Les maladies cardiovasculaires sont aujourd’hui la première cause de mortalité chez les femmes, devant le cancer du sein. Certaines formes atypiques, comme la dissection spontanée de l’artère coronaire (SCAD) ou la dysplasie fibromusculaire (DFM), touchent même presque exclusivement des femmes non ménopausées. Des travaux coordonnés par Nabila Bouatia-Naji*et soutenus par un financement du Conseil européen de la recherche (ERC), montrent qu’un facteur génétique fréquent, localisé sur le chromosome 6, confère un risque significatif de développer ces formes atypiques.

La dissection spontanée de l’artère coronaire (SCAD) est responsable d’une forme particulière et atypique d’infarctus du myocarde, touchant presque uniquement des femmes en apparente bonne santé (80 à 90% des patients, selon les études). Les études récentes tendent à montrer que cette maladie grave et mal connue ne serait pas aussi rare qu’on le pensait jusqu’à présent : elle serait en effet responsable de près d’un tiers des infarctus aigus du myocarde survenant chez des femmes de moins de 60 ans.

« Le nombre de ces infarctus est nettement sous-estimé car les patientes ne présentent pas les facteurs de risque classiques, comme un taux élevé de cholestérol et un surpoids, qui conduisent à une prise en charge préventive, explique Nabila Bouatia-Naji, responsable de l’équipe Inserm Génétique de la physiopathologie des maladies artérielles au centre de recherche cardiovasculaire de l’Hôpital européen Georges Pompidou*. Les symptômes sont différents et difficiles à repérer. Leur diagnostic est complexe : il nécessite une expertise et des techniques d’imagerie sophistiquées, rarement appliquées en première intention dans les services de cardiologie. »

Pas d’accumulation de lipides, mais une déformation des artères

L’équipe de Nabila Bouatia-Naji s’intéresse tout particulièrement aux formes atypiques de maladies cardiovasculaires. Leur caractéristique est de ne pas résulter d’une accumulation de lipides, mais de la déformation d’une ou plusieurs artères. Dans le cas de la SCAD, cette déformation est provoquée par une déchirure de la paroi de l’artère coronaire qui peut réduire ou bloquer le flux sanguin. Une autre affection, la dysplasie fibromusculaire (DFM), entraîne quant à elle une déformation par une croissance irrégulière des cellules de la paroi des artères. Selon sa localisation, elle peut conduire à l’AVC (artère carotidienne) ou à une hypertension très sévère (artère rénale). SCAD et DMF, deux causes de maladies cardiovasculaires graves, semblent avoir un lien : des études récentes estiment qu’entre 40 et 80% des personnes présentant un infarctus de type SCAD présentent aussi des anomalies au niveau rénal ou carotidien et, dans les deux cas, 80 à 90% des personnes touchées sont des femmes. « Nous avions précédemment identifié, sur le chromosome 6, un facteur génétique associé à un risque accru de développer les formes rénales et carotidiennes de la maladie (DFM). Nous avons voulu savoir si ce facteur était également associé aux formes coronariennes, notamment le SCAD », poursuit Nabila Bouatia-Naji qui a obtenu une subvention européenne pour effectuer ses travaux. 

Et c’est effectivement bien le cas : ce facteur génétique, l’allèle A d’un variant génétique situé dans le gène PHACTR1 (Phosphatase and actin regulator 1), est également plus fréquent chez les patients concernés par les formes coronariennes de la maladie. Cependant, cet allèle est aussi très fréquent dans la population générale et confère une augmentation modérée du risque de SCAD, indiquant ainsi que de nombreux autres facteurs génétiques doivent contribuer à ce risque. « Il s’agit à l’évidence d’une maladie polygénique et multifactorielle qu’il faut étudier avec une approche plus globale afin de mieux comprendre la spécificité de la santé cardiovasculaire des femmes, conclut Nabila Bouatia-Naji. Notre ambition est maintenant d’établir une carte génétique exhaustive de ces maladies, et de mettre en lumière les conséquences biologiques des facteurs génétiques associés. L’objectif ultime est de pouvoir mieux orienter les patients vers des traitements qui prennent en compte les spécificités de leur profil cardiovasculaire. »

Note

* unité 970 Inserm/Université Paris Descartes, Paris Centre de recherche cardiovasculaire, équipe Génétique de la physiopathologie des maladies artérielles, Hôpital européen Georges Pompidou, Paris. 

Source : D. Adlam et coll. Association of the PHACTR1/EDN1 genetic locus with spontaneous coronary artery dissection. Journal of the American College of Cardiology. DOI : 10.1016/j.jacc.2018.09.085