Microbiote intestinal : comment les espèces bactériennes pathogènes s’imposent

L’étude d’une souche d’Escherichia coli productrice d’une toxine, la colibactine, suggère que cette dernière permet à la bactérie d’entrer en compétition avec les autres espèces du microbiote intestinale de la souris, et de s’imposer ainsi progressivement. Le phénomène engendre une altération dans la composition du microbiote, avec de potentiels effets délétères sur la santé de l’animal. Les mêmes mécanismes pourraient exister chez l’humain...

L’importance du microbiote intestinal dans le bon fonctionnement de l’organisme a émergé ces dix dernières années. Il existe en effet une association significative entre la composition de ce microbiote, riche de milliers d’espèces bactériennes et d’autres microorganismes, et de nombreux paramètres de santé. Certains facteurs, et en particulier un régime alimentaire déséquilibré, induisent une altération de sa composition. On parle de dysbiose. On constate alors par exemple l’augmentation de la présence de souches d’Escherichia coli, une famille d’entérobactéries dont certaines ont été décrites comme génotoxiques, c’est-à-dire capables d’induire des lésions de l’ADN des cellules de l’hôte. C’est notamment le cas d’une souche d’E. coli du groupe B2, de plus en plus fréquemment isolées dans le microbiote des personnes au mode de vie occidental et citadin. Reste que l’impact de cette espèce bactérienne génotoxique sur le microbiote intestinal est méconnu. Pourrait-elle en elle-même favoriser la dysbiose ? C’est ce que démontre le travail d’une équipe de chercheurs toulousains, à partir d’expériences réalisées chez la souris. Leurs résultats, parus dans mSphere, offrent des perspectives dans le développement d’approches préventives ou thérapeutiques de la dysbiose chez l’humain.

Une progression en deux temps

La génotoxicité des souches d’E. coli du groupe B2 repose sur la production d’une toxine, la colibactine. Pour en étudier l’impact sur le microbiote intestinal, les chercheurs ont formé trois groupes à partir de souris femelles gestantes : le premier présentait un microbiote « contrôle », avec une souche d’E. coli non pathogène ; le microbiote des animaux du deuxième groupe était ensemencé avec une souche d’E. coli du groupe B2 productrice de colibactine, responsable chez l’Homme de méningites néonatales, et le troisième par une E. coli du groupe B2 mais qui ne produit pas la colibactine. « Nous nous sommes ensuite intéressés aux souriceaux nés de ces femelles, parce que le microbiote intestinal se constitue majoritairement et naturellement par transmission verticale lors de la mise bas. C’est pendant la naissance par voie basse que s’installent les souches d’E. coli pathogènes responsables de méningites », précise Matteo Serino*, chercheur Inserm à l’IRSD de Toulouse qui a conduit ces travaux. 

Son équipe a suivi et analysé l’évolution de la composition du microbiote des trois groupes de souriceaux. « À 15 jours de vie, nous avons observé que la souche d’E. coli génotoxique induit une baisse significative de la quantité des autres entérobactéries avec lesquelles elle est en compétition, explique le chercheur. Et 35 jours après la naissance, l’E. coli génotoxique provoque une baisse significative d’autres bactéries (Firmicutes, Clostridia...). La diversité du microbiote est alors nettement plus faible. Ceci n’est pas observé dans le groupe d’animaux contrôles ou dans celui des souriceaux porteurs de la souche non génotoxique, ce qui suggère que la colibactine est délétère, non seulement pour son hôte (eucaryote), mais aussi – directement ou indirectement – pour des espèces bactériennes (procaryotes) ».

L’équipe souhaite maintenant réaliser la même étude chez des souris adultes, dont le microbiote est déjà constitué, afin d’évaluer si la colibactine peut entraîner les mêmes modifications. Les chercheurs veulent aussi mener l’expérience chez des souris obèses et diabétiques, souvent plus sensibles aux infections bactériennes, afin de savoir si la dysbiose induite est plus sévère ou favorise d’autres altérations chez ces animaux. Des données intéressantes sur le plan de la santé humaine : « Comprendre ces mécanismes possiblement transposables à l’Homme pourrait aider à mieux appréhender l’origine des dysbioses lors d’infections à entérobactéries et, ainsi, aider à développer des approches antibiotiques, prébiotiques ou probiotiques pour limiter le portage de telles E. coli génotoxiques ».

Note :
*unité 1220 Inserm/INRAE/Université Paul Sabatier/École nationale vétérinaire, Institut de recherche en santé digestive, équipe Pathogénie et commensalisme des entérobactérie, Toulouse

Source : S. Tronnet et coll. The Genotoxin Colibactin Shapes Gut Microbiota in Mice. mSphere 2020 Jul 1;5(4):e00589-20. Doi : 10.1128/mSphere.00589–20.