Maladies infectieuses : vers l’identification rapide des patients à risque de complications sévères

L’analyse de certaines cellules immunitaires circulantes, dans les premières heures qui suivent une infection, permettrait d’identifier les patients à risque de réponse inflammatoire généralisée – on parle de « sepsis ». Cette technique serait notamment pertinente pour identifier les cas de Covid-19 à risque de détresse respiratoire et/ou de thrombose.

Les patients atteints d’une forme grave de la Covid-19 développent un sepsis, c’est-à-dire une forme sévère d’infection, dans laquelle une réponse inflammatoire exacerbée est associée à un dysfonctionnement des organes, à des thromboses, voire au décès. La difficulté est aujourd’hui d’identifier le plus rapidement possible les personnes infectées qui seront concernées, afin qu’elles puissent bénéficier d’une prise en charge appropriée. Différentes études ont déjà été conduites sur le sujet, mais la plupart des facteurs identifiés jusqu’à présent (concentration de certains messagers pro-inflammatoires) ne sont pas spécifiques de la maladie.

Or depuis plusieurs années, Christophe Combadière et son équipe du Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (CIMI)*, à Paris, travaillent à la compréhension des mécanismes que l’organisme met en route dans les toutes premières heures qui suivent une infection. Ces scientifiques s’intéressent plus particulièrement au sepsis, qu’il soit d’origine bactérienne ou virale. « Nous travaillons principalement sur les premières étapes de la réponse du système immunitaire après une infection car cette période est déterminante pour l’évolution de la maladie vers un sepsis », explique le chercheur. Son intérêt se porte notamment sur les polynucléaires neutrophiles (PN) et les monocytes, qui sont les premières cellules immunitaires à intervenir. Une fois au contact du pathogène, ces acteurs de la réponse immunitaire se spécialisent en présentant à leur surface des récepteurs spécifiques. Si l’on réussit à identifier ceux qui sont responsables des dommages cellulaires engendrés chez l’hôte en cas de sepsis, on pourrait identifier les patients à risque de complications. Et c’est précisément ce à quoi l’équipe parisienne est parvenue.

Identifier tôt pour agir vite

Dans une première étude, démarrée il y a quelques années, Christophe Combadière a étudié les marqueurs de surface de PN prélevés chez des patients admis en réanimation pour sepsis, par cytométrie de masse. « Nous avons identifié deux marqueurs spécifiques de la réponse à l’infection : la chaîne alpha du récepteur de l’interleukine 3 (CD123) et le PD-L1(Programmed death-ligand 1). Nous avons montré qu’ils étaient spécifiques d’une inflammation post-infection et non d’une inflammation aseptique (par exemple, suite à une chirurgie). » Les chercheurs ont ensuite validé ces données dans une cohorte de patients admis consécutivement en réanimation, quelle qu’en soit la raison : « Nous avons pu vérifier que les malades qui présentaient des PN porteurs de CD123 et de PD-L1 étaient ceux pour lesquels le diagnostic posé in fine était bien une infection. » Pour cette étape de validation, les chercheurs ont eu recours à une technique d’analyse plus facile à utiliser en routine, la cytométrie de flux.

Début 2020, l’arrivée du SARS-CoV‑2 a conduit l’équipe à valider l’approche avec les patients atteints de formes critiques de Covid-19. « Nous avons confirmé que le CD123 et le PD-L1 permettent de distinguer les patients accueillis en réanimation de ceux qui ont une forme plus modérée de la maladie », relate Christophe Combadière. De plus, les chercheurs ont identifié un troisième marqueur, LOX‑1 (lectin-type oxidized LDL receptor 1), qui semble également discriminant pour reconnaître les patients à risque de complications sévère, et plus particulièrement ceux qui développent des thromboses, une des complications de la Covid-19.

« Il faut savoir que ces marqueurs ont été identifiés sur des PN dits immatures. En situation normale, seuls les PN matures sont présents dans la circulation sanguine. Ils migrent dans les tissus en réponse à divers stimuli, notamment d’origine infectieuse, ingèrent les microorganismes par phagocytose et les détruisent dans des vésicules grâce à des enzymes lytiques et à des protéines antimicrobiennes. Ils envoient ensuite des messages vers la moelle osseuse afin qu’elle produise de nouveaux PN. Mais au cours d’une infection grave, les PN recrutés peuvent ne pas avoir le temps de maturer et sont libérés de la moelle vers le sang sous une forme immature, avec des fonctions qui leur sont propres, potentiellement délétères », précise Christophe Combadière.

Désormais, le chercheur et son équipe souhaiteraient collaborer avec des industriels pour développer un outil technologique qui permettrait l’analyse des PN « au lit du patient », afin d’aider les équipes soignantes à orienter leur diagnostic et à surveiller plus étroitement les personnes les plus à risque de complications.

Il s’agit bien d’un enjeu de santé publique : la mortalité hospitalière des patients atteints de sepsis est d’environ 30 %, et même de 50 % sur l’année suivante en raison des complications qui en découlent. « On considère que le risque de mortalité augmente de 10 % par heure écoulée avant la mise en route d’un traitement adapté. Or, les examens utilisés aujourd’hui pour identifier l’origine du sepsis peuvent nécessiter plusieurs heures à plusieurs jours, par exemple lorsqu’il faut attendre les résultats de la mise en culture des prélèvements biologiques. Un outil tel que celui que nous proposons pourrait apporter une réponse dans les toutes premières heures suivant l’admission hospitalière. » Avec à la clé un gain de temps, une amélioration du diagnostic, et des vies sauvées.

Note :
* unité 1135 Inserm/CNRS/Sorbonne Université, Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (CIMI), Paris

Sources :
1 – B Combadière et coll. LOX-1-Expressing Immature Neutrophils Identify Critically-Ill COVID-19 Patients at Risk of Thrombotic Complications. Front immunol du 20 septembre 2021. DOI : 10.3389/fimmu.2021.752612
2 – A Meghraoui-Kheddar et coll. Two new neutrophil subsets define a discriminating sepsis signature. American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine du 3 novembre 2021. DOI : 10.1164/rccm.202104–1027OC

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