Lymphomes folliculaires : deux événements moléculaires précoces à l’origine d’un grand nombre de cas

Une équipe Inserm du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy a mis en évidence les toutes premières étapes de l’apparition de certains lymphomes folliculaires, un cancer rare du sang. Chez environ un tiers des patients, les chercheurs ont en effet identifié deux anomalies moléculaires qui font basculer dans un état pathologique les cellules impliquées, près de dix ans avant la survenue de symptômes. Ce travail minutieux permet de mieux comprendre ce cancer et ouvre la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques pour lutter contre les rechutes.

Le lymphome folliculaire est un cancer du sang rare, qui concerne environ 5 personnes sur 100 000. Entre 3 000 et 5 000 cas sont diagnostiqués chaque année en France, généralement chez des individus de plus de 60 ans. La maladie est caractérisée par la prolifération anarchique de globules blancs, des lymphocytes B, principalement dans les ganglions lymphatiques mais aussi parfois dans la rate et la moelle osseuse. Si ce cancer est très bien pris en charge dans un premier temps, avec un taux de survie de 86 % à 5 ans, les rechutes sont inévitables et de plus en plus réfractaires à la thérapie. Aussi, le lymphome folliculaire est toujours considéré comme incurable. Identifier les cellules à l’origine de ces rechutes est essentiel pour mieux les cibler et réussir à les éliminer. C’est précisément le travail que conduit l’équipe de Sandrine Roulland, chercheuse Inserm au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy : les scientifiques recherchent les cellules précurseurs de ce lymphome, soupçonnées d’être également responsables des rechutes. Leur objectif est de découvrir des mutations et des remaniements génétiques typiques de ces cellules, pour être en mesure de les reconnaître et, à terme, de les détruire.

Des cohortes épidémiologiques indispensables

Cette tâche est complexe car une fois qu’un lymphome folliculaire est déclaré, il existe dans l’organisme des patients une grande variété de cellules tumorales qui ont accumulé de nombreuses mutations au cours du temps et contribuent à l’hétérogénéité des tumeurs. Il est donc particulièrement difficile d’y retrouver les cellules précurseurs. Pour les dénicher, il faudrait une machine à remonter le temps qui permettrait d’identifier l’apparition des toutes premières anomalies moléculaires, celles qui font basculer un lymphocytes B normal dans un état pathologique. En l’absence d’une telle machine, l’équipe s’est appuyée sur deux grandes cohortes composées de volontaires recrutés alors qu’ils étaient en bonne santé et suivis depuis plus de vingt ans. La première, EPIC, est une cohorte européenne qui comprend plus de 500 000 personnes, dont les données sont centralisées par le Centre international de recherche sur le cancer à Lyon. La seconde, la Cancer Prevention Study (CPS), est coordonnée par l’American Cancer Society et réunit 120 000 individus. Dans les deux, des prélèvements sanguins ont été réalisés au moment de l’inclusion des participants, avant tout diagnostic de cancer.

Grâce aux échantillons sanguins « pré-diagnostiques » des volontaires de la cohorte EPIC, les chercheurs ont identifié un réarrangement génétique, t(14;18), chez les personnes qui ont fini par développer un lymphome folliculaire. Cette anomalie correspond à une translocation, c’est-à-dire à un échange de segments d’ADN entre deux chromosomes (en l’occurrence, les chromosomes 14 et 18). Elle est retrouvée chez 85 % des personnes atteintes de lymphome folliculaire et constitue le premier événement génétique associé à ce cancer. Toutefois, elle est également très fréquente en population générale et ne permet pas à elle seule de présager de la survenue d’un cancer. D’autres anomalies doivent survenir en aval.

Le séquençage profond à la rescousse

Pour les identifier, les chercheurs ont procédé au séquençage systématique de 334 gènes associés aux lymphomes folliculaires, toujours sur les échantillons sanguins pré-diagnostiques des volontaires. « Ce travail a été possible grâce à une collaboration avec une équipe de l’université de Stanford aux États-Unis, dirigée par Ash Alizadeh. Elle a développé une technologie de séquençage très fine, le deep sequencing, qui permet de détecter une mutation unique dans une cellule parmi 10 000 autres cellules », précise Sandrine Roulland. Outre, la translocation t(14;18), les chercheurs ont mis en évidence une modification épigénétique (modification chimique de l’ADN) sur le gène CREBBP, impliqué dans la régulation de l’expression du génome. Cette modification apparaît une dizaine d’années avant le diagnostic et serait suffisante pour engager les cellules porteuses de la translocation dans un processus tumoral. En effet, « le duo t(14;18)/CREBBP n’a été retrouvé chez aucun des sujets contrôles de la cohorte EPIC, qui n’ont pas développé ce cancer », explique Sandrine Roulland. Ainsi, les cellules qui présentent ces deux anomalies constituent vraisemblablement les fameux précurseurs recherchés. Surviennent ensuite d’autres anomalies épigénétiques et mutations qui favorisent le développement tumoral et conduisent à l’hétérogénéité des tumeurs.

Ces résultats ont pu être validés sur des volontaires de la cohorte CPS et les chercheurs ont retrouvé les anomalies dans des cellules tumorales issues de biopsies de patients. Toutefois, elles ne sont détectées que chez un tiers des personnes atteintes d’un lymphome folliculaire, soulignant la complexité de détecter ces cellules précurseurs dans le sang de patients.

Identifier des étapes clés précoces de l’apparition d’un cancer pourrait servir à améliorer le dépistage. Toutefois, « le lymphome folliculaire est rare et il paraît peu opportun – que ce soit en matière d’organisation, de faisabilité ou encore de coût – d’aller rechercher ces événements dans la population générale », précise Sandrine Roulland. En revanche, « ce travail éclaire sur la cascade d’événements qui génèrent un lymphome folliculaire et permet de mieux comprendre sa physiopathologie. Il ouvre de nouvelles pistes thérapeutiques pour lutter contre ces précurseurs et réduire le risque de rechute », résume-t-elle.


Sandrine Roulland est co-responsable de l’équipe Instabilité génomique et hémopathies humaines, au sein du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML, unité 1104 Inserm/CRNS/Aix-Marseille Université).


Source : J. Schroers-Martin et coll. Tracing Founder Mutations in Circulating and Tissue-Resident Follicular Lymphoma Precursors. Cancer Discov, édition en ligne du 16 mai 2023 ; doi : 10.1158/2159–8290.CD-23–0111

Auteur : A. R.

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