Lutter contre la prolifération des moustiques et des maladies virales associées

Éric Marois est chargé de recherche Inserm dans l’équipe Réponses immunitaires chez les moustiques à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (CNRS) à Strasbourg. Il nous parle de son article publié dans Communication Biology et de la Technique de l’Insecte Stérile (TIS) pour lutter contre les maladies virales transmises par les moustiques comme la dengue par exemple.

Une publication – 3 questions

Dans quel contexte effectuez-vous ces recherches ?

Depuis que nous étudions l’immunité chez les moustiques, nous avons mis en place de nombreux outils comme la transgénèse et CRISPR Cas9. Nous sommes devenus leader sur l’efficacité et l’utilisation de ces outils chez les moustiques et avons été contactés par l’AIEA et le Cirad qui nous ont demandé de créer des lignées de sexage spécifiques pour les Aedes, moustiques vecteurs de virus. Le but est de faciliter la lutte contre ces espèces via la TIS.

Dans cette publication, nous avons utilisé la transgénèse pour produire des moustiques mâles fluorescents. Cette approche repose sur l’insertion d’un gène codant la GFP (une protéine fluorescente verte) près du locus déterminant le sexe. Pour les deux principales espèces Aedes (moustique-tigre et moustique de la fièvre jaune), nous disposons maintenant de lignées transgéniques dont les mâles sont intensément fluorescents, tandis que les femelles sont non transgéniques. Nous montrons comment le tri automatique des larves par cytométrie en flux permet de produire des mâles purs en grande quantité. Cela ouvre la voie à une production industrielle de mâles stériles, qui pourraient être lâchés pour diminuer spécifiquement les populations de ces deux espèces.

Nous avons également produit d’autres versions de souches de sexages génétiques dans lesquelles la fluorescence est visible chez les deux sexes. Mais avec deux copies du marqueur génétique, les femelles sont plus fluorescentes que les mâles.

Les deux types de souches marquées peuvent être combinés via des croisements génétiques entre femelles non transgéniques et mâles moins fluorescents, afin de produire de grandes populations de mâles non transgéniques qui peuvent être séparés de leurs sœurs transgéniques fluorescentes.

Pourquoi cette découverte est importante et quel est son impact ?

Il est aujourd’hui de plus en plus en plus difficile de lutter contre les moustiques qui ont développé des résistances aux insecticides, molécules par ailleurs dangereuses pour l’homme et la biodiversité. Les moustiques envahissent la planète à la faveur des échanges commerciaux et du réchauffement climatique. 65 cas autochtones de dengue ont été recensés en 2022 en métropole, c’est la première fois que l’on dénombre autant de cas en une année en métropole. La TIS peut être une réponse, mais pour les moustiques il est crucial de produire des populations de mâles purs en évitant de relâcher les femelles piqueuses. L’île de la Réunion et le Sud de la France s’intéressent à cette technique, tandis que d’autres pays comme le Brésil, la Chine et l’Afrique du Sud ont également des projets avancés en ce sens. De nombreuses études pilotes montrent aujourd’hui qu’il est possible de produire en masse, de stériliser et de relâcher des moustiques mâles compétitifs.

Quelles sont les prochaines étapes ?

La première étape sera de discuter en proposant des présentations et échanges publics sur les technologies issues du génie génétique. L’objectif est d’informer la population et d’évoquer les problèmes et risques éventuels.

En parallèle, il est essentiel de discuter avec les autorités pour réguler ces technologies et aussi proposer une évaluation scientifique des risques avant que ce ne soit autorisé.

Une fois ces évaluations réalisées et si l’obstacle de la réticence du public envers les techniques OGM peut être levé, il serait ensuite nécessaire de mettre en place des infrastructures de production de mâles stériles à grande échelle.

Source : C. Lutrat and coll. Combining two genetic sexing strains allows sorting of non-transgenic males for Aedes genetic control. Communication Biology – 16 juin 2023 https://doi.org/10.1038/s42003-023–05030‑7

Pour aller plus loin
A l’occasion d’InScience, Éric Marois, a expliqué en vidéo son projet GDaMo qui porte sur le forçage génétique comme outil de lutte contre les maladies transmises par les moustiques. Il revient sur l’importance de GDaMo pour la société et présente les premiers résultats.
Consulter la vidéo