L’origine du développement des ovaires enfin découverte

Alors que le gène qui déclenche le développement des testicules chez les humains et les souris est connu de longue date, celui responsable de l’apparition des ovaires n’avait pas encore été découvert. Une collaboration internationale, impliquant des chercheurs Inserm, vient de combler cette lacune.

Chez l’humain comme chez la souris, le sexe d’un individu est génétiquement déterminé par ses chromosomes sexuels : un chromosome X et un Y (XY) conduit à l’apparition de testicules, et deux X (XX) à celle d’ovaires. Ce processus débute au stade embryonnaire, à partir de cellules précurseures – identiques pour les deux sexes – qui vont se différencier en cellules de Sertoli pour permettre le développement des testicules chez les individus XY ou en cellules prégranulosa qui conduisent à la formation des ovaires chez les XX. Une fois formées, les gonades (testicules ou ovaires) influenceront le développement sexuel de l’individu dans son ensemble.

Des ovaires par défaut ?

Le gène responsable de la différenciation des précurseurs gonadiques en cellules de Sertoli (autrement dit le gène à l’origine des testicules) est connu depuis une trentaine d’année : il s’agit du gène Sry, situé sur le chromosome Y. Mais aucun gène n’avait encore été identifié comme déclencheur du développement des ovaires. À tel point que les scientifiques ont longtemps pensé qu’il s’agissait d’un mécanisme « par défaut » : on imaginait qu’en l’absence de Sry, la différenciation cellulaire s’orientait vers la formation de gonades femelles plutôt que mâles. Et en effet, chez la souris, inhiber l’expression de Sry induit la formation d’ovaires chez les animaux XY.

Les travaux menés par Élodie Grégoire dans l’équipe dirigée par Marie-Christine Chaboissier à l’Institut de biologie Valrose à Nice, en collaboration avec d’autres laboratoires en France, au Royaume-Uni, au Pays-Bas et en Suisse, montrent qu’il n’en est rien : il existe bel et bien un gène responsable du développement ovarien.

WT1(-KTS), un acteur clé

Le point de départ de ces travaux était l’anomalie génétique associée au syndrome de Frasier, une maladie qui se traduit notamment par la présence d’organes génitaux féminins chez des personnes XY. Elle est liée à la mutation du gène Wt1 qui permet la synthèse de deux protéines légèrement différentes entre elles : la protéine WT1(+KTS) et la protéine WT1(-KTS) qui se distingue de la première par l’absence de trois acides aminés (une lysine dont le symbole est la lettre K, une thréonine symbolisée par T et une sérine S).

Dans le syndrome de Frasier, la mutation sur Wt1 entraîne une surexpression de WT1(-KTS) et un déficit en WT1(+KTS). Les chercheurs ont scruté le développement de souris qui présentaient cette mutation et ont constaté l’apparition d’ovaires chez l’ensemble de ces animaux. Pour savoir si ce phénomène était déclenché par la surexpression de WT1(-KTS), ils ont développé un autre modèle animal dans lequel il est possible de surexprimer WT1(-KTS) tout en maintenant un taux normal de WT1(+KTS). Cette expérience a confirmé que la surexpression de WT1(-KTS), indépendamment du taux de WT1(+KTS), déclenche le développement ovarien, que l’individu soit XX ou XY. 

« Nos différentes expériences montrent que WT1(-KTS) est exprimé chez les animaux des deux sexes. Toutefois, Sry agit plus tôt, de sorte que le développement des testicules est assuré chez les individus XY. En revanche, si l’expression de Sry est altérée ou retardée, ou si WT1(-KTS) est surexprimée prématurément comme dans le syndrome de Frasier, la différenciation en cellules prégranulosa est accélérée et entraîne la formation systématique d’organes génitaux féminins », décrit Élodie Grégoire.

Ce travail très fondamental permet non seulement de combler une lacune ancienne relative à nos connaissances sur le développement sexuel, mais il va aussi permettre de mieux comprendre la cascade de signaux qui conduisent à la formation des ovaires depuis le premier signal déclencheur. « À terme, les cliniciens pourront probablement mieux caractériser certaines anomalies du développement des organes sexuels et réaliser un conseil génétique plus adapté », entrevoit l’ingénieure.


Élodie Grégoire est ingénieure Inserm dans l’équipe Génétique de la détermination du sexe et de la fertilité dirigée par Marie-Christine Chaboissier, à l’Institut de biologie Valrose (unité 1091 Inserm/CNRS/Université Côte d’Azur), à Nice. Les modèles murins utilisés pour ces travaux ont été mis au point par Andreas Schedl, qui dirige l’équipe Voies moléculaires contrôlant le développement et l’homéostasie tissulaire, dans la même unité.


Source : É. Grégoire et coll. The −KTS splice variant of WT1 is essential for ovarian determination in mice. Science du 2 novembre 2023 ; doi : 10.1126/science.add8831

Auteur : A. R.

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