L’immunité, déterminant incontournable de l’évolution métastatique

La plupart des théories cherchant à décrire la cinétique d’évolution des tumeurs reposent sur l’agressivité des cellules cancéreuses, elle-même essentiellement définie par des critères génétiques. Mais le rôle de la réponse immunitaire dans cette dynamique apparaît de plus en plus évident. Après l’avoir décrit dans des tumeurs colorectales primaires, Jérôme Galon et son équipe du Centre de recherche des Cordeliers (Paris) viennent d’en apporter la confirmation dans le cas des métastases qui en sont issues.

Si l’apparition de métastases résulte de l’échappement d’un cancer primaire aux systèmes de défense de l’organisme, cela veut-il dire que tout contrôle immunitaire a disparu à ce stade d’évolution tumorale ? En association avec plusieurs structures de recherche internationales, le laboratoire de Jérôme Galon* a mené une étude spécifique pour répondre à cette question, à partir de métastases issues de cancers colorectaux primaires. Ces travaux confirment que la réponse immunitaire joue un rôle déterminant dans la capacité de ces tumeurs secondaires à se propager ou à répondre aux traitements. 

Cette nouvelle étude fait suite à des travaux de la même équipe qui avaient décrit ce rôle dans les cancers colorectaux non métastatiques, conduisant à construction de l’Immunoscore, un score pronostique de la maladie calculé à partir de critères immunitaires. Ensemble, ces résultats permettent de faire évoluer la compréhension de la maladie cancéreuse : les théories actuelles permettant d’expliquer l’évolution des cancers sont en effet fondées sur des critères intrinsèques aux cellules tumorales, notamment liés à des mutations qui permettraient le développement de clones tumoraux plus ou moins agressifs. Les derniers travaux de l’équipe de Jérôme Galon confirment l’idée que ces théories sont incomplètes puisque des facteurs immunitaires semblent déterminants pour le pronostic de ces maladies. En outre, ils devraient à terme favoriser de nouvelles évolutions thérapeutiques. 

Vers un score prédictif de la survie

Le point de départ de ce travail repose sur deux patients à la survie exceptionnellement longue en situation métastatique : chacun d’eux avait en effet développé successivement 16 métastases, en onze ans. Toutes ont été retirées pour une analyse complète, avec caractérisation cellulaire, génétique, immunitaire… Ce bilan complet a permis d’affiner la description de chacune de ces tumeurs secondaires et des médiateurs immunitaires y étant mobilisés. Il a aussi permis d’évaluer comment la composition des métastases, toutes issues d’une même tumeur primaire, peut évoluer dans le temps. 

« Nous avons confirmé que les tumeurs secondaires comportent une hétérogénéité propre, chacune étant constituée de plusieurs clones tumoraux associés à un microenvironnement différent, décrit Jérôme Galon. Une même métastase comporte ainsi des groupes de cellules cancéreuses dont certains sont sensibles aux médiateurs immunitaires qui infiltrent la tumeur, tandis que d’autres ont la capacité d’y échapper ».

Les chercheurs ont ensuite confirmé qu’il était possible d’établir un score prédictif de l’évolution des métastases, fondé sur : 

  • l’Immunoscore
  • la distance spatiale séparant les lymphocytes T cytotoxiques des cellules tumorales proliférantes sur lesquelles ils agissent
  • l’immunoéditing, c’est-à-dire les caractéristiques des mutations génétiques qui permettent ou non aux cellules tumorales d’échapper aux mécanismes immunitaires
  • la taille de la métastase, une tumeur étant d’autant moins accessible/sensible à l’immunité qu’elle est volumineuse

Ce score a ensuite été validé auprès d’une cohorte d’une centaine de patients. « L’Immunoscore peut donc avoir une validité clinique à ce stade de la maladie » explique le chercheur. Cette confirmation devrait être prochainement apportée par une nouvelle publication de l’équipe, décrivant la valeur prédictive de l’Immunoscore en termes de survie. 

Du modèle colorectal à une théorie générique

Ce travail apporte deux perspectives importantes : « La premières est que, même au stade métastatique, le système immunitaire peut encore être actif sur les cellules cancéreuses. Cela conforte la place que peuvent jouer les immunothérapies au stade métastatique, souligne le chercheur. Certes, l’hétérogénéité de la sensibilité des cellules tumorales à l’immunité engendre une complexité qui s’ajoute à celle de la réponse thérapeutique habituellement attendue. Pour autant, une médecine plus personnalisée se dessine à long terme, grâce à laquelle la ou les immunothérapies les plus efficaces pourront être proposées selon les caractéristiques propres à chaque patient ».

Dans une perspective plus immédiate, les chercheurs se penchent sur l’universalité de ces résultats : l’immunité joue-t-elle un rôle clé dans d’autres cancers que le cancer colorectal ? « C’est hautement probable, estime Jérôme Galon, mais nous devons le valider ».

Note

*unité 1138 Inserm/UPMC/Université Paris Diderot/Université Paris Descartes, Centre de recherche des cordeliers, équipe Immunologie et cancérologie intégratives, Paris Jérôme Galon est co-fondateur de la société de diagnostic en immuno-oncologie, HalioDx, qui a licencié les brevets Inserm liés à l’Immunoscore. 

Source : Angelova M et coll., Evolution of Metastases in Space and Time under Immune Selection, Cell (2018), https:// doi.org/10.1016/j.cell.2018.09.018