Didier Samuel : « Il faut se donner les moyens d’aller vers le médicament »

Alors que le monde sort d’une crise sanitaire sans précédent, plus que jamais la santé est au cœur des préoccupations de chacun. C’est dans ce contexte que le professeur Didier Samuel, médecin, chercheur et universitaire, a été nommé le 1er février dernier à la tête de l’Inserm. Le professeur d’hépatologie explique en quoi l’épidémie de Covid-19 a ébranlé la recherche et la médecine, et en quoi elles doivent évoluer pour répondre aux futurs enjeux sanitaires.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°56

Portrait de Didier Samuel
Didier Samuel, président-directeur général de l’Inserm © Inserm/François Guénet

L’épidémie de Covid-19 a changé notre regard sur notre santé et la recherche médicale. Quelles leçons peut-on en tirer ?

Didier Samuel : Cette crise a montré au monde l’importance de la santé et de notre capacité à anticiper ou à répondre à des agressions sanitaires. Nous n’avions pas connu une épidémie aussi violente depuis des dizaines d’années, depuis celle du VIH qui, cependant, touchait moins de personnes. Nous n’étions pas suffisamment préparés à faire face à une telle menace, ni aux maladies infectieuses émergentes. Les épidémies passées de SARS, MERS, chikungunya, Zika ou encore Ebola ont été finalement assez bien contrôlées. Notre vigilance s’est relâchée. Et puis, il y a eu un désinvestissement de la recherche en amont qui est pourtant essentielle pour faire face à une telle crise sanitaire. Il n’y avait presque plus de recherche en France sur les coronavirus par exemple. Nous avons donc besoin d’une recherche d’amont : les avancées révolutionnaires comme les immunothérapies anticancer ou encore les technologies liées à l’ARN messager nécessitent des années de travail pour aboutir à des applications concrètes.

Quelles évolutions sont nécessaires pour répondre aux nouveaux enjeux révélés par cette crise ?

D. S. : Il faut se saisir du réinvestissement à l’oeuvre dans notre recherche et se donner les moyens d’aller vers le médicament. En France, nous avons une recherche académique de qualité et des chercheurs compétitifs. Mais nous avons aussi une difficulté à transformer nos découvertes scientifiques en innovations médicales, accentuée par une désindustrialisation globale. Or avec la crise Covid, nous avons pris conscience que nous avions besoin de retrouver notre autonomie en développant notre propre industrie du médicament, tout en restant conscients que nous ne pouvons pas tout faire seuls. Néanmoins, en s’alliant au niveau européen, une industrie compétitive est possible.

Et quel rôle l’Inserm doit-il jouer dans ces évolutions ?

D. S. : L’Inserm a un rôle essentiel car unique : c’est le seul organisme en France en charge de la recherche en santé. Il est vraiment au contact des crises sanitaires et doit être capable d’allier recherche fondamentale et recherche translationnelle vers les applications médicales, afin de lutter concrètement contre les maladies. L’Inserm ainsi que l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes, notre agence interne sur les maladies infectieuses émergentes, sont aussi en mesure d’aider le gouvernement à répondre aux menaces sanitaires en le conseillant grâce à leur expertise scientifique.

L’Inserm a donc aussi une place centrale dans le débat public sur les questions de santé…

D. S. : Oui, c’est très important. L’État a besoin d’informations et d’analyses de la situation, afin d’être réactif et de déterminer les actions immédiates à mener, face à une crise sanitaire mais aussi plus généralement en matière de santé publique. Le scientifique permet au politique de mieux appréhender les risques et de l’appuyer vers ses décisions. Des décisions politiques qui ont un impact sur la vie des citoyens et nécessitent leur adhésion, malgré les réticences. La communication auprès du public est donc elle aussi primordiale. Le scientifique doit alors accompagner la parole politique en apportant, avec pédagogie, des connaissances scientifiques solides, qui permettent au public de comprendre les décisions prises et de les approuver.

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