Hépatite alcoolique sévère : Restaurer les capacités anti-infectieuses des patients

L’activité de certaines cellules immunitaires en charge de la lutte antimicrobienne est altérée chez ceux qui présentent une inflammation chronique liée à la consommation excessive et chronique d’alcool. En décryptant un des mécanismes clés de ce phénomène, des chercheurs ouvrent la voie d’une future application thérapeutique.

Une partie des personnes consommant de l’alcool de façon excessive et chronique présente un état inflammatoire dénommé hépatite alcoolique. Au stade sévère, cette maladie a un pronostic vital sombre à court terme, notamment du fait d’un risque infectieux élevé. Afin de comprendre cette vulnérabilité spécifique, des chercheurs se sont intéressés à l’activité des polynucléaires neutrophiles (PN), un groupe de cellules circulantes, en charge de l’immunité anti-infectieuse innée et dont l’activité est altérée en cas d’hépatite alcoolique. En se penchant sur le rôle d’une protéine permettant aux acteurs du système immunitaire de communiquer entre eux, l’interleukine IL-33, ils ont montré qu’il était possible de restaurer partiellement les propriétés de ces cellules immunitaires. Les auteurs de ce travail estiment que la voie de l’IL-33 pourrait, à terme, constituer une piste pour le traitement préventif ou curatif des infections chez les patients souffrant d’hépatite alcoolique sévère. 

Une capacité de migration altérée

« Nous avons montré précédemment qu’environ un quart des patients souffrant d’hépatite alcoolique sévère ont un risque très élevé d’infection, sans que l’on sache pourquoi, explique Alexandre Louvet*, qui a dirigé le travail. Pour le comprendre, nous nous sommes intéressés à l’activité des PN, altérée dans ces situations. »

Les chercheurs ont prélevé des échantillons sanguins chez des malades et ont pu observer que les PN « ne migrent pas correctement in vitro, au contact de molécules qui sont habituellement censées les faire migrer. On peut supposer que de la même façon, in vivo, les PN sont également moins aptes à se rendre sur le site d’une infection, ce qui pourrait expliquer le surrisque infectieux des patients souffrant d’hépatite alcoolique sévère ». Dans un second temps, les chercheurs se sont penchés sur l’IL-33. Cette interleukine possède un récepteur membranaire spécifique (ST2L) sur lequel elle se fixe pour activer la migration des PN. Mais il existe également un récepteur libre de l’interleukine dans le sang (sST2) qui, tel un leurre, bloque l’IL-33 dans le sérum et diminue sa capacité à se fixer sur les PN. Dans ce travail, les chercheurs ont observé que le taux de sST2s était plus élevé chez les patients atteints d’hépatite alcoolique sévère que chez les autres. « Nous avons observé que le risque de développer une infection dans les deux mois était proportionnel à la concentration de sST2 dans le sang, décrit le chercheur, ce qui montre indirectement l’importance du couplage entre l’IL-33 et le ST2 dans la lutte anti-infectieuse. Or, en les traitant in vitro avec cette interleukine, on restaure partiellement la capacité de migration des cellules PN. »

Améliorer un pronostic particulièrement sombre

La voie de l’IL-33 pourrait donc constituer une approche thérapeutique. Mais un certain nombre d’étapes préalables sont nécessaires avant d’envisager une telle application : outre cette interleukine, d’autres médiateurs pourraient être impliqués. Les chercheurs vont donc approfondir l’étude des différentes voies incriminées et apprécier si d’autres pourraient améliorer l’activité des PN chez les patients souffrant d’hépatite alcoolique sévère. Ensuite, il sera nécessaire de développer une molécule mimant l’activité de l’IL-33, qu’elle soit similaire à l’interleukine ou agoniste de son récepteur. Une éventuelle application clinique n’est pas envisageable à court terme, mais l’enjeu reste néanmoins important : « Si l’hépatite alcoolique sévère est un état inflammatoire qui n’est pas systématiquement observé chez tous les consommateurs excessifs d’alcool, ceux qui présentent une cirrhose sont presque toujours concernés : ceux-là ont une mortalité très importante de l’ordre de 30 à 40% dans les 6 mois, notamment à cause des complications infectieuses face auxquelles les praticiens sont assez démunis. Ce travail apporte donc des perspectives encourageantes. »

Note :
* Unité 995 Inserm/Université de Lille, Centre de recherche sur l’inflammation de Lille (Liric), équipe Maladies digestives inflammatoires : physiopathologie et développement de nouvelles cibles thérapeutiques 

Source : F. Artru et al. IL-33/ST2 pathway regulates neutrophil migration and predicts outcome in patients with severe alcoholic hepatitis. J Hepatol, édition en ligne du 15 janvier 2020, doi:10.1016/j.jhep.2019.12.017