GEWIEP : décrypter la génétique bactérienne pour lutter contre l’antibiorésistance

À Paris, dans le laboratoire Infection, antimicrobiens, modélisations, évolution (unité Inserm 1137 / Université Paris Cité / Université Sorbonne Paris Nord, IAME), Olivier Tenaillon étudie les dynamiques d’adaptation et d’évolution des micro-organismes. Il s’intéresse en particulier à Escherichia coli, une bactérie qui réside dans notre tube digestif, et à l’émergence de sa résistance aux antibiotiques.

En effet, si la majorité de ses souches sont inoffensives, certaines peuvent être pathogènes, et son antibiorésistance grandissante est devenue au fil des années un enjeu majeur de santé publique. En concevant de nouvelles technologies de modélisation et d’identification de cette bactérie dans le cadre du projet GEWIEP, il entend contribuer à la lutte contre ses souches les plus virulentes.

Pour InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, découvrez le portrait d’un chercheur passionné par l’évolution et la compréhension du monde qui nous entoure…et qui vit en nous !

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Olivier Tenaillon : Après une formation initiale d’ingénieur à l’École polytechnique, je me suis intéressé à l’évolution, une discipline qui représente pour moi l’alliance idéale entre la biologie et les mathématiques. J’ai ainsi rejoint l’Institut Jacques Monod, où j’ai soutenu une thèse consacrée à l’évolution microbienne et aux mécanismes d’adaptation des micro-organismes grâce à leur capacité à muter. Ensuite, lors de mon post-doctorat à San Diego (États-Unis) j’ai approfondi ma connaissance de la modélisation des processus évolutifs du vivant et du développement de modèles théoriques.

C’est en 2002 que j’ai été recruté à l’Inserm, dans une unité de recherche qui a depuis fusionné pour aboutir à la création du laboratoire IAME, en 2014. Mon entrée à l’Institut a marqué le début de mes recherches sur la bactérie Escherichia coli, cela fait donc plus de 20 ans que je l’étudie !

Pourquoi E. coli et pas une autre bactérie ?

O. T. : Au départ, j’étudiais E. coli car elle était une simple espèce modèle. Mais au fil des années, elle s’est transformée en véritable « ennemi public » ! Cette bactérie se trouve dans notre tube digestif et se bat pour occuper cette niche. À chaque fois que nous prenons un antibiotique, il affecte notre microbiote digestif et E. coli développe avec le temps une certaine forme de résistance.

Elle est devenue une vraie préoccupation de santé : sur le million de morts dont elle est responsable chaque année, on estime que 200 000 cas sont directement causés par sa résistance, soit un individu sur cinq ! Mes travaux de recherche se sont en quelque sorte, eux aussi adaptés à cette dynamique d’évolution.

Le fil conducteur est toutefois resté le même : faire de la biologie en y mêlant de l’évolution et concevoir des modèles pour comprendre les processus d’adaptation. Ce qui m’anime au quotidien, c’est de réussir à appréhender le cœur du fonctionnement du vivant, expliquer comment et pourquoi il s’adapte en permanence.

Vous avez justement reçu un financement de l’Agence nationale de la recherche pour le projet GEWIEP...

O. T. : Quand j’ai commencé à séquencer le génome de plusieurs bactéries au laboratoire, c’est-à-dire déterminer la séquence en bases A, C, G et T de leur matériel génétique, j’ai pu faire plusieurs observations.

L’adaptation peut se faire de façons très différentes et parfois concurrentes. Dans un même environnement donné, une certaine combinaison de mutations représente le début d’un « chemin évolutif », défini sommairement comme l’ensemble des mutations et des adaptations d’un génome. Cette trajectoire évolutive va conditionner les conséquences des modifications futures du génome. J’avais donc pour objectif de réussir à illustrer comment l’évolution peut être contrainte par ces mécaniques.

GEWIEP se base sur la notion d’épistasie : il s’agit des interactions entre les mutations, elle dit qu’une mutation prend toute sa valeur lorsqu’elle est étudiée dans l’ensemble du génome dans lequel elle apparait. Il faut donc partir du principe que si une même mutation apparait dans un fond génétique différent, elle n’aura pas le même effet.

J’ai donc souhaité analyser et quantifier les interactions génétiques entre différentes souches d’E. coli afin de déterminer si celles-ci pouvaient façonner l’évolution des génomes ; et notamment l’émergence de clones antibiorésistants. Pour cela, j’ai conçu avec mon équipe des méthodes d’hybridation des génomes et de marquage des souches afin de les suivre dans le temps et de mesurer les effets sélectifs.

Pouvez-vous nous parler d’une de ces méthodes ?

O. T. : L’une des nouvelles méthodes que nous avons conçues est le « bar codage » du génome. Comme son nom le laisse entendre, cette technique consiste à cataloguer une entité vivante pour mieux la caractériser d’un point de vue génétique. Pour cela, on introduit un marqueur spécifique, une sorte d’identifiant unique, dans une souche bactérienne que nous pouvons ensuite suivre par séquençage.

Nous avons montré que ces codes-barres étaient stables dans le temps et pouvaient mettre en évidence les dynamiques évolutives. Cela nous permet de mieux connaître les chemins évolutifs qui se dessinent, et donc de mieux caractériser l’émergence de mutations adaptatives potentiellement impliquées dans la virulence.

Quels sont vos objectifs pour la suite ?

O. T. : L’objectif principal est d’appréhender les processus sous-jacents qui peuvent mener à des situations d’alerte de santé publique. La plupart du temps, des souches sont identifiées comme dangereuses sans que l’on comprenne réellement ce qui les a rendues si offensives. 

Mon travail est de développer des techniques pour suivre les clones afin de « pronostiquer » ceux qui vont pouvoir accumuler des gènes de résistance et de virulence. Sur le papier, nous pourrions donc envisager de prédire les fonds génétiques qui vont poser problème demain. Il y a encore beaucoup de travail et de « si » mais, à terme, nous espérons proposer des pistes pour favoriser les souches inoffensives et contre-sélectionner les plus virulentes. 

Les temps sont longs et les impacts sociétaux ne sont pas toujours visibles directement mais il y a un côté assez fascinant dans l’évolution. Petit à petit, grâce aux modèles, nous progressons dans notre compréhension du vivant et disposons de nouvelles grilles de lectures pour expliquer des phénomènes complexes comme la propagation de l’antibiorésistance. Partir de données brutes et les rendre intelligibles, comprendre les principes qui amènent au monde qui nous entoure, c’est passionnant !