Génétique : Les gènes sauteurs sous contrôle

Les éléments transposables, également connus sous le nom de « gènes sauteurs », sont des séquences d’ADN capables de se répliquer dans notre génome. Très abondants, répétés et dispersés, ils sont maintenus sous un contrôle très strict. Une cartographie inédite des L1, la famille de gènes sauteurs la plus active chez l’humain, apporte un éclairage nouveau sur les mécanismes qui freinent leur expansion.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°60

Saviez-vous que 60 % de notre génome est composé de gènes dits « sauteurs » ? Ces gènes ont la capacité de se répliquer et de s’insérer à de nouvelles positions dans le génome. Comment ? Tout simplement parce qu’ils codent des enzymes capables de « couper-coller » ou de « copier-coller » l’ADN. Ce phénomène a toujours existé. On estime qu’une nouvelle copie de gène sauteur s’insère durablement dans le génome des humains toutes les 20 naissances. « Aujourd’hui, la plupart des gènes sauteurs qui se sont insérés au cours de l’évolution sont inactifs », précise Sophie Lanciano, chercheuse postdoctorale à l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement de Nice, dans l’équipe de Gaël Cristofari, directeur de recherche Inserm. Autrement dit : ils ne sautent plus. Néanmoins, on imagine aisément que ce phénomène puisse mettre le désordre dans le génome. Car si l’insertion de ces séquences a souvent peu d’incidence sur le fonctionnement de l’organisme, elle peut avoir lieu dans des gènes ou à leur proximité, provoquant alors des pertes ou des gains de fonction. Elles constituent d’ailleurs un puissant moteur de l’évolution : c’est par un tel mécanisme que des fonctions essentielles, comme la formation du placenta chez les mammifères, sont apparues. Mais elles jouent également un rôle crucial dans le développement de certaines maladies, notamment le cancer, ou dans le vieillissement.

Parmi les gènes sauteurs, la famille des rétrotransposons LINE‑1 (L1) est particulièrement active chez l’humain. Ils représentent près de 20 % de notre génome. Comment savoir s’ils sont actifs ou non ? Il est connu que la méthylation, une modification chimique de l’ADN, peut bloquer leur activité de façon globale. Mais jusqu’à présent, il était impossible de savoir quelles copies sont méthylées ou non. Pour y remédier, l’équipe de Gaël Cristofari a mis au point une méthode de cartographie de la méthylation des L1. « Nous avons adapté une technique de séquençage visant à localiser les L1, que nous avons utilisée conjointement avec une technique de marquage de la méthylation, explique le chercheur. Cela nous permet d’identifier les bases méthylées et non méthylées de chacune des copies du génome. » Cette analyse a été réalisée dans une douzaine de types cellulaires différents, dont des cellules cancéreuses ou embryonnaires. C’est la première fois qu’une telle cartographie, qui plus est exhaustive, est réalisée.

Plusieurs verrous

Ces analyses ont donné lieu à plusieurs observations intéressantes, voire surprenantes : « Bien que très similaires entre eux, tous ces gènes sauteurs ne sont pas régulés de la même façon : il existe une forte hétérogénéité en fonction du type cellulaire considéré ou de la position du L1 », rapporte Sophie Lanciano, qui a mené ces travaux avec Claude Philippe, ingénieur dans l’équipe. Autre résultat important : « Ce n’est pas parce que les L1 ne sont pas méthylés qu’ils vont pour autant s’activer, poursuit la chercheuse. C’est un résultat étonnant car cela montre qu’il existe plusieurs mécanismes, plusieurs verrous, qui contrôlent leur activité. » Qu’il reste à découvrir. Ce sera l’un des prochains objectifs de l’équipe niçoise, ainsi que la compréhension de la dynamique de réactivation de ces gènes sauteurs. À terme, ces découvertes pourraient servir à des fins thérapeutiques, par exemple en réactivant des gènes sauteurs dans les tumeurs pour stimuler leur élimination par le système immunitaire.


Sophie Lanciano, postdoctorante, et Claude Philippe, ingénieur, travaillent dans l’équipe Rétrotransposons et plasticité du génome dirigée par Gaël Cristofari à l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement de Nice (unité 1081 Inserm/Université Côte d’Azur).


Source : S. Lanciano et al. Locus-level L1 DNA methylation profiling reveals the epigenetic and transcriptional interplay between L1s and their integration sites. Cell Genomics, 14 février 2024 ; doi : 10.1016/j.xgen.2024.100498

Auteur : B. S.

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