Gamètes ou cellules somatiques : qui sont les gardiens de l’identité cellulaire ?

Chez les mammifères, les gènes dits « germinaux » sont uniquement exprimés dans les cellules amenées à devenir des gamètes, ovules ou spermatozoïdes. Dans toutes les autres cellules, une modification chimique de l’ADN – la méthylation – garde ces gènes silencieux. Une équipe strasbourgeoise s’est penchée sur les détails de ce phénomène pour découvrir les protéines impliquées. À terme, ce travail pourrait bénéficier aux recherches en cancérologie car les gènes germinaux sont anormalement réactivés dans certaines tumeurs.

Comment l’expression des gènes germinaux est-elle réprimée dans les cellules somatiques de l’organisme, c’est-à-dire dans toutes les cellules qui ne sont pas destinées à devenir des gamètes ? Pour répondre à cette question, l’équipe de Michaël Weber, chercheur Inserm à l’université de Strasbourg, décortique le déroulement d’un mécanisme épigénétique mis en jeu dans ce phénomène : la méthylation de l’ADN. Ce processus est fondamental puisque les protéines codées par les gènes germinaux conduisent à la formation de cellules amputées de la moitié de leur matériel génétique. Et si c’est bien ce qui est attendu lors de la gamétogenèse, le résultat peut être désastreux dans d’autres circonstances : « L’expression inopinée des gènes germinaux dans des cellules qui ne sont pas destinées à former des gamètes peut conduire à un déséquilibre génétique. C’est d’ailleurs ce qui est observé dans un certain nombre de cancers où la réactivation de gènes germinaux dans des cellules tumorales peut favoriser la progression de la maladie. En étudiant ce mécanisme, nous souhaitons le comprendre au niveau moléculaire. À terme, nous espérons ainsi contribuer à des solutions pour lutter contre ce dysfonctionnement », clarifie Michaël Weber.

Une trentaine d’acteurs

La méthylation de l’ADN consiste en l’ajout de groupements « méthyles » (CH3 : un atome de carbone et trois d’hydrogène) sur des régions cibles du génome. Cette modification chimique bloque l’expression des gènes concernés. Le rôle de ce mécanisme dans l’inactivation des gènes germinaux dans les cellules somatiques est bien documenté, mais les scientifiques ignorent la façon précise dont tout cela fonctionne et ne connaissent pas l’identité des protéines impliquées. Pour combler cette lacune, l’équipe strasbourgeoise a inactivé un par un chaque gène de cellules somatiques : « Ce crible génomique a été réalisé grâce à la technique CRISPR-Cas9. Il nous a permis de tester l’implication de chacun des 20 000 gènes du génome qui codent pour une protéine. Au préalable, les cellules avaient été modifiées pour émettre un signal fluorescent en cas de réactivation d’un gène germinal », explique Michaël Weber. Ainsi, en sélectionnant les cellules fluorescentes à l’issue de l’expérience, les chercheurs ont pu repérer les protéines dont la présence est indispensable à la répression des gènes germinaux. Et plus le signal fluorescent était fort, plus la protéine manquante jouait a priori un rôle majeur dans ce mécanisme.

Finalement, une trentaine de protéines ont été identifiées. « Cette première étape de nos travaux a permis de les lister, mais il faut maintenant les étudier pour comprendre comment elles interviennent », poursuit le chercheur. Certaines étaient déjà connues pour leur rôle dans la méthylation de l’ADN. Mais d’autres sont apparues, à l’image des protéines codées par les gènes Usp7, Shfm1 ou encore Erh. L’équipe s’est notamment intéressée plus en détails à Usp7. L’analyse de ses fonctions, co-dirigée par Sylvain Daujat, également chercheur Inserm dans l’équipe de Michaël Weber, révèle qu’elle stabilise un complexe protéique (PRC1.6) nécessaire à la répression des gènes germinaux, et favorise la méthylation de ces derniers. L’étude des autres protéines identifiées se poursuit. « Notre but est de comprendre la cascade d’événements épigénétiques qui assurent l’initiation et le maintien permanent de la méthylation des gènes germinaux, depuis le développement précoce embryonnaire jusqu’à la fin de la vie », résume Michaël Weber.


Michaël Weber dirige l’équipe Régulation épigénétique de l’identité cellulaire, dans l’unité de recherche Biotechnologie et signalisation cellulaire (CNRS/Université de Strasbourg), à Illkirch. 


Source : H. Al Adhami H et coll. Systematic identification of factors involved in the silencing of germline genes in mouse embryonic stem cells. Nucleic Acids Res, 11 février 2023 ; doi : 10.1093/nar/gkad071

À lire aussi

L'ADN est la molécule de l'hérédité qui forme les chromosomes et qui contient l'ensemble des gènes. Chaque gène est un bout d'ADN qui contient, sous forme codée, toute l'information relative à la vie d'un organisme vivant.