Fertilité masculine : Y a‑t-il péril en la demeure ?

C’est une chute vertigineuse. Selon une méta-analyse, réalisée par des chercheurs américains et israéliens, publiée en novembre 2022, la concentration moyenne de gamètes dans le sperme des hommes a été divisée par deux en l’espace de 45 ans ! Elle était de 101 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme en 1973, contre 49 aujourd’hui. Pour les auteurs de cette étude, il y a péril en la demeure. L’étude en question est-elle suffisamment robuste ? Et montre-t-elle vraiment qu’il y a urgence ?

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°56

La diminution de la fertilité masculine est un problème de santé publique majeur, la santé reproductive étant cruciale pour la survie de l’espèce humaine. Mais les chercheurs ont-ils raison de s’inquiéter ? Si certains reconnaissent une situation préoccupante, d’autres sont moins alarmés. Et si les interprétations divergent, des consensus émergent sur les politiques publiques à adopter concernant la santé reproductive, comme le rapporte notre panel d’experts, constitué d’un épidémiologiste et de deux cliniciens.

Luc Multigner : « Déclin ou pas, l’important est d’identifier les facteurs de risque de l’infertilité masculine »

Le débat sur le déclin de la qualité du sperme a débuté dans les années 1970 et subsiste de nos jours. Ainsi, une récente méta-analyse vient contredire les conclusions de celle de novembre 2022. Alors que la question sous-tendue est d’importance, en lien avec la survie de l’espèce, les arguments des uns et des autres s’opposent trop souvent sans nuances. Objectivement, les données épidémiologiques disponibles ne permettent pas de trancher compte tenu de la sélection inhérente des populations étudiées (fertiles, infertiles, donneurs de sperme). L’absence d’études prospectives sur des échantillons représentatifs de la population générale empêche de conclure. Si le déclin est réel, on pourrait s’attendre à une augmentation du pourcentage de couples ayant des difficultés à concevoir un enfant. Mais ici encore, les estimations de la fréquence de l’infécondité involontaire sont variables selon les études et les méthodologies employées et se contredisent s’agissant de leur évolution au cours du temps. Déclin ou pas, l’important est d’identifier les facteurs de risque de l’infertilité masculine. Certains sont connus, qu’ils soient génétiques, médicaux, professionnels ou environnementaux. Des actions de prévention sont déjà possibles. Cela passe par la formation des professionnels et par l’information des personnes en âge de procréer, notamment les jeunes. Pour autant, il nous reste encore beaucoup à découvrir. La recherche doit porter son attention sur la contribution de nos modes de vie, qu’il s’agisse de l’impact du stress, de la sédentarité ou des comportements alimentaires favorisant l’obésité. Il en est de même concernant la pollution de nature chimique ou physique.

Luc Multigner est épidémiologiste et directeur de recherche Inserm à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset, unité 1085).

Samir Hamamah : « Je plaide pour la création d’un logo “reprotoxique” qui serait affiché sur certains produits »

La situation est préoccupante. La santé reproductive masculine est altérée et l’homme dans les cinq continents a perdu plus de 50 % de sa production spermatique. Il faut un plaidoyer pour protéger l’espèce humaine. Regardons les chiffres : depuis l’étude de Carlsen en 1992, la qualité et la quantité de sperme ne cessent de s’altérer, le cancer du testicule augmente et le pourcentage de micro-pénis également. Il faut agir. À cette fin, j’ai remis au gouvernement un rapport sur les causes de l’infertilité en février 2022, préambule d’une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité. Pour moi, cette lutte passe en premier lieu par la prévention, l’éducation et l’information. Aujourd’hui, dans le cadre de la santé sexuelle, on parle aux adolescents d’IVG, de contraception, d’IST mais pas de santé reproductive. Or, celle-ci se dégrade. Il est important de faire passer ce message, sans culpabiliser et sans moraliser. Nous recommandons dans notre rapport la mise en place d’une consultation longue dédiée à la santé reproductive pour chaque adulte. Une initiative qui ne pourra se faire sans une meilleure formation des professionnels de santé sur cette problématique. Il est aussi indispensable d’informer sur les risques de certaines substances, notamment les perturbateurs endocriniens. Je plaide pour la création d’un logo « reprotoxique » qui serait affiché sur certains produits. Par ailleurs, davantage de moyens sont nécessaires pour la recherche, ainsi qu’une structure dédiée, à l’instar de l’INCa pour le cancer. Aujourd’hui, cinq ministères ou secrétariats d’État sont chargés de ces questions de santé reproductive, mais il n’y a pas de coordination satisfaisante. Un institut national de la fertilité pourrait pallier cette situation.

Samir Hamamah est professeur des universités, chercheur dans l’unité Inserm 1203 Développement embryonnaire précoce humain et pluripotence, chef de service au CHU de Montpellier, et auteur du plan national de la fertilité.

Célia Ravel : « Cette norme est difficile à établir, il ne s’agit pas d’un paramètre fixe comme la glycémie »

Il faut tempérer le message délivré par les auteurs de la méta-analyse de 2022. Oui, on observe une baisse de la concentration spermatique dans la population générale. Mais, d’une part, les seuils qu’ils constatent pour 2018 sont encore très élevés et, d’autre part, il existe une très forte variabilité intra-individuelle. Le stress, une importante fatigue, une infection récente avec forte fièvre, comme la Covid-19, sont autant de facteurs qui peuvent faire chuter temporairement la concentration de spermatozoïdes. D’ailleurs, en consultation, si un spermogramme fournit un résultat anormal, nous demandons à la personne de revenir trois mois plus tard pour réaliser un test de confirmation. La courbe de cette concentration au cours du temps est en dents de scie. Il ne faut donc pas se concentrer sur des chiffres à l’instant t. En 2021, la concentration minimum définie par l’Organisation mondiale de la santé était de 16 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme ; elle était fixée à 20 en 1999. Cela illustre que cette norme est difficile à établir. Il ne s’agit pas d’un paramètre fixe comme la glycémie. Par ailleurs, on parle ici d’infertilité masculine, alors qu’il s’agit d’une problématique de couple. Il faut aussi considérer les paramètres chez la femme, avoir une vision globale. Une concentration de 5 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme peut permettre une fécondation si la compagne est jeune et fertile. Les jeunes doivent être informés sur les notions d’horloge biologique. Dans la mesure du possible, il faut faire des enfants tôt. Enfin, il existe des solutions face à l’infertilité masculine, comme la micro-injection de spermatozoïde dans un ovocyte. Mais en laboratoire, avec des taux de réussite d’environ 30 %, on ne fait pas mieux que la nature. Attention à ne pas se laisser porter par des promesses technologiques.

Célia Ravel est professeure des universités-praticienne hospitalière, service de biologie de la reproduction-CECOS au CHU de Rennes, chercheuse à l’Irset.

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