Favoriser la participation des citoyens dans la recherche

Les projets de recherche en santé impliquent des patients, des aidants, des soignants ou tout autre membre de la société. Cependant, en matière de recherche participative, le rôle de ces citoyens dépasse celui de simple sujet d’études pour former un véritable partenariat avec les chercheurs. Des liens étroits que l’Inserm encourage depuis longtemps et soutient, grâce au service Sciences et société sous la houlette de Fabian Docagne.

Un article à retrouver dans le rapport d’activités 2022 de l’Inserm

Qu’est-ce que la recherche participative ?

Fabian Docagne : Elle constitue une forme de production de savoir qui implique une participation active des personnes concernées. Dans la pratique, c’est une science qui essaie de prendre en compte l’expérience des individus touchés – patients, aidants, soignants... – pour produire un savoir complémentaire du savoir académique.

Dans quels domaines fait-on de la recherche participative ?

F. D. : Les projets concernant les maladies rares et certains pans des recherches en sciences sociales menées à l’Inserm sont imprégnés de cette pratique. Ce sont cependant des domaines un peu spécifiques. Ailleurs, la recherche participative est sans doute moins répandue à l’Inserm. Une de nos missions importantes consiste donc à sensibiliser l’ensemble des scientifiques à cette forme de recherche et à leur expliquer ce qu’ils peuvent y gagner. Il ne s’agit bien sûr pas d’une injonction à en faire, mais simplement d’un rappel de cette possibilité, quand c’est pertinent.

Quels moyens d’action avez-vous mis en place sur ce plan ?

F. D. : Il faut créer des rencontres entre chercheurs et collectifs et poser les conditions d’un dialogue fructueux entre eux. Pour cela, le service Sciences et société a notamment organisé une journée dédiée, en conviant des collectifs et des chercheurs de l’Inserm. Je dis « collectifs » parce que l’événement ne concerne pas que des associations, mais aussi des communautés de professionnels ou des groupes d’une certaine catégorie d’âge. Je prends en outre mon « bâton de pèlerin » pour aller au contact des chercheurs afin de les sensibiliser à la recherche participative.

Si les chercheurs méconnaissent ce type de projets, il doit aussi y avoir des lacunes du côté des évaluateurs. Une valorisation insuffisante de la recherche participative pourrait-elle décourager les scientifiques ?

F. D. : Nous travaillons justement sur le sujet avec le département Évaluation l’Inserm. Au sein de l’Institut, nous souhaiterions sensibiliser les commissions scientifiques spécialisées pour que les évaluateurs prennent en compte le mieux possible la recherche participative dans leur réflexion. Et en dehors de l’Inserm, nous essayons de créer des indicateurs qui permettent d’évaluer l’utilité de notre action, le bénéfice de la recherche participative.

De quel autre levier disposez-vous pour encourager les chercheurs à se lancer dans cette voie ?

F. D. : Nous leur offrons un accompagnement et un financement adaptés. Souvent, il faut aller vite quand les bonnes idées sortent et que les personnes sont présentes autour de la table. Ainsi, nous intervenons sitôt que les chercheurs et le collectif se sont fixé une idée de recherche. Là, nous assistons les scientifiques pour transformer l’idée en un projet solide : nous nous mettons d’accord sur la question scientifique, la méthodologie adaptée, le mode de gouvernance et les prérequis en matière de bonnes pratiques. Tout ce qui fait que le projet pourra être déposé à un appel d’offres national ou européen. Cet accompagnement prend en compte le « temps silencieux », souvent plusieurs mois, durant lequel les parties s’entendent sur un langage commun, par exemple. Cette phase de travail permet d’établir les fondations mêmes d’un projet solide.

Existe-t-il un financement pour ces prémices ?

F. D. : Oui ! Après concertation entre le service Sciences et société, la direction générale de l’Inserm et le Groupe de réflexion avec les associations de malades, un financement d’amorçage a été mis en place en 2022. Ce ne sont pas des sommes énormes, entre 10 000 et 20 000 euros, mais elles peuvent servir aux frais de transport des missions, à la formation (côté chercheurs ou collectifs), à l’emploi de professionnels de la médiation... Bien sûr, nous ne faisons pas de chèque en blanc. Nous nous mettons d’accord en amont avec les porteurs du projet sur le bien-fondé des dépenses. Et nous avons un comité de sélection et de conseil pour ce financement. Nous soutenons au mieux les porteurs durant un an, une période assez courte finalement.

Après le lancement, quelle forme l’accompagnement prend-il ?

F. D. : Notre aide va bien au-delà de l’argent. Nous faisons profiter les porteurs de projet de l’expérience des chercheurs qui ont déjà concrétisé des recherches participatives. Quand des obstacles se présentent, il n’est pas rare que d’autres scientifiques aient rencontré les mêmes. Nous sommes d’ailleurs en train de mettre en place un réseau de ces chercheurs au niveau national. Nous soutenons aussi les porteurs de projet en nous posant en relais vers les services centraux de l’Inserm pour des points réglementaires, des questions financières, ou encore la communication.

Quels ont été les projets amorcés en 2022 ?

F. D. : Il y en a trois. Pour le premier, sur la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes, il n’y a pas de collectif identifié. Un des enjeux consiste donc à définir ensemble les outils qui permettent de s’adresser au mieux à cette population. L’idée est de faire remonter de leurs expériences ce qui pour eux définit le bien-être. Cela fait apparaître des symptômes qui n’étaient pas identifiés. Quand nous préjugeons de ce qu’est une bonne santé mentale, nous pouvons nous tromper. Le deuxième projet s’intéresse au stress post-traumatique et à ses manifestations sur le sommeil des femmes en situation de prostitution. Les chercheurs collaborent avec une association de travailleurs sociaux et de soignants qui œuvrent auprès de ces populations. Enfin, le troisième projet porte sur le syndrome de DiGeorge, dû à une délétion génétique. Il n’est pas connu comme touchant le cerveau. Or, sur le terrain, on observe qu’une proportion non négligeable des jeunes adultes qui ont cette mutation présente des symptômes psychiatriques. L’idée est donc de travailler avec les patients concernés pour essayer de déterminer l’histoire naturelle de la maladie dans l’espoir de mettre en évidence des signes avant-coureurs de cette transition vers les symptômes psychiatriques. Et ce, afin de les traiter le plus tôt possible. Encore une fois, la recherche participative prend tout son sens car nous ne pouvons pas présager ces signes annonciateurs. Il faut vraiment travailler avec les malades pour cela.


Fabian Docagne est responsable du service Science et société. Cette structure aide les équipes Inserm à démarrer leurs projets de recherche participative et contribue à promouvoir cette modalité de recherche au sein des instances de l’institut. À lire aussi : Vers de bonnes pratiques de recherche participative

Retour croisé sur deux projets de recherches participatives

Quels sont vos projets de recherche participative ?

Julie Haesebaert : Nos travaux visent à améliorer l’organisation et la performance des soins, sur deux axes principaux. L’un concerne la performance des professionnels de santé, leurs pratiques et leurs conditions d’exercice. Le second, sur la relation des patients avec les professionnels de santé et leur parcours de soins, se prête particulièrement aux approches participatives.

Bénédicte Terrier : Depuis près de dix ans, nous menons des recherches en neurosciences sur l’attention des élèves en cours. En 2022, nous avons conçu, avec des enseignants très impliqués, des exercices d’évaluation de l’attention en classe inclus dans les apprentissages réels. Nous avons aussi revu entièrement avec eux le programme d’éducation à l’attention utilisé au collège et au lycée.

Quels ont été les événements initiateurs de ces démarches participatives ?

B. T. : En 2014, Jean-Philippe Lachaux, chercheur du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, testait des outils de mesures de l’attention dans des classes. Les équipes pédagogiques lui ont alors demandé de les aider à améliorer cette capacité chez les élèves : Atole (Attentif à l’école) était né. Ce projet pionnier a démarré avant même que le terme « participatif » apparaisse à l’Inserm !

J. H. : De notre côté, nous travaillions à améliorer la prise en charge des victimes d’un accident vasculaire cérébral, depuis sa survenue jusqu’à la phase chronique, marquée par le retour à domicile et la vie avec les séquelles. Nous nous sommes rapidement rendu compte que les patients et la population devaient être très impliqués dans ce parcours, notamment lors de la phase aiguë, quand l’AVC se produit : c’est essentiel de solliciter le système de santé au plus tôt ! Nous avons donc contacté une association de patients, France AVC 69, afin de construire ensemble un projet pour aider à reconnaître l’apparition de l’AVC et pour sensibiliser la population générale. Depuis, une nouvelle association, Arrpac, a été créée, qui implique des patients, des cliniciens et des chercheurs de notre équipe.

En quoi ce type de recherche peut-il s’avérer plus difficile qu’un projet classique ?

J. H. : Généralement, un projet de recherche participative est plus long, les étapes sont plus nombreuses. On peut même dire qu’il comprend plusieurs projets : l’implication des personnes concernées d’un côté et le projet de recherche lui-même à conduire en parallèle.

B. T. : Avec le projet Atole se pose aussi la question du « passage à l’échelle » : éduquer notre attention est un enjeu de société. Il est donc crucial que les outils issus de cette démarche participative soient essaimés aussi bien dans le monde de l’éducation qu’auprès du grand public. Il faut pour cela maintenir un site internet dédié et animer les communautés d’enseignants et de chercheurs ainsi créées. Nous le faisons aujourd’hui sur notre temps de travail de chercheurs, mais nous sommes en quête de partenaires relais, motivés et bénévoles... Ils sont incontournables pour bonifier sur le long terme ce lien entre la recherche et la société.



Retrouvez d’autres témoignages de chercheuses et de chercheurs engagés dans des recherches participatives sur Inserm Pro.

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Aude Bernheim