Expliquer la susceptibilité féminine aux maladies auto-immunes

Si les femmes portent un chromosome X de plus que les hommes, un mécanisme d’inactivation permet l’égalité de l’expression des gènes entre sexes. Certains gènes échapperaient cependant à cette inactivation. Parmi eux, celui du récepteur TLR7, connu pour favoriser le développement du lupus érythémateux systémique (SLE) et d’autres maladies auto-immunes. La piste étiologique se précise...

Le lupus érythémateux systémique (LES), maladie dans laquelle les personnes atteintes produisent des auto-anticorps contre leurs propres acides nucléiques, survient surtout chez les femmes ainsi que chez les hommes présentant anormalement deux chromosomes X (syndrome de Klinefelter). En effet, face à la maladie et en particulier à celles mettant le système immunitaire en jeu, hommes et femmes ne sont pas égaux. Les mécanismes responsables des différences liées au sexe dans la réponse immunitaire impliquent les hormones sexuelles, le microbiote ou encore des gènes liés aux chromosomes sexuels. 

Jean-Charles Guéry et son équipe* se sont penchés sur le rôle de l’un des acteurs clés de l’immunité antivirale, le récepteur Toll-like 7 (TLR7), également connu pour favoriser le développement du LES lorsqu’il est surexprimé par les lymphocytes B chez la souris. Leur hypothèse : étant donné qu’il existe un mécanisme d’inactivation limitant l’expression des gènes portés par la seconde copie du chromosome X chez les femmes, et sachant que le gène codant TLR7 est justement porté par le chromosome X, la prédisposition des femmes à développer le LES pourrait-elle reposer sur l’échappement à l’inactivation de ce gène ? « Ce mécanisme pourrait conduire à une surexpression de TLR7 dans certaines cellules comme les lymphocytes B, et conduire à un risque accru de développer des auto-anticorps », explique le chercheur. Une hypothèse loin d’être farfelue puisque la littérature décrit des échappements de 10 à 30% des gènes, selon leur nature ou selon les cellules considérées. 

Un échappement observé dans 30% des cellules analysées

Processus d’inactivation aléatoire d'un des 2 chromosomes X
Processus d’inactivation aléatoire d’un des 2 chromosomes X. © Inserm/Heard, Edith/Institut Curie

En développant un modèle d’analyse sur cellules uniques permettant de savoir si TLR7 est exprimé à partir de l’un ou l’autre des deux chromosomes X, les chercheurs ont observé que le récepteur est produit simultanément par les deux dans environ 30% des cellules, et cela dans toutes les sous-populations de cellules immunitaires analysées (lymphocytes B, monocytes et cellules dendritiques plasmacytoïdes), non seulement chez les femmes, mais également chez des individus de sexe masculin souffrant du syndrome de Klinefelter. 

Jean-Charles Guéry raconte : « Nous avons recherché un lien de causalité entre ce phénomène et la réponse fonctionnelle des lymphocytes B à des ligands de TLR7. Nous avons ainsi montré que les lymphocytes B mémoire des femmes prolifèrent mieux que ceux des hommes et qu’ils sont enrichis en cellules exprimant les deux copies de TLR7. Les lymphocytes B naïfs exprimant ces deux allèles ont aussi une plus grande capacité à se différencier en lymphocytes B producteurs d’IgG. Ces deux effets conjugués pourraient contribuer à augmenter le risque de produire des auto-anticorps et, ainsi, de développer la maladie auto-immune ».

Les conclusions de cette étude suggèrent que le mécanisme pourrait être à l’origine de la prédisposition au LES des hommes souffrant du syndrome de Klinefelter. Elles permettent de mieux comprendre l’étiologie de la maladie et, par conséquent, d’envisager de nouvelles perspectives thérapeutiques. 

« Nous allons maintenant poursuivre nos travaux afin d’évaluer s’il est possible de prédire la sévérité de la maladie en dosant l’expression de TLR7 par les lymphocytes B » ajoute Jean-Charles Guéry. « Outre la compréhension du LES et, plus largement des maladies auto-immunes, ces résultats pourraient apporter des enseignements pour d’autres pathologies auto-immunes impliquant TLR7, ou dans l’infection par le VIH, face auxquels les hommes et les femmes réagissent de façon différente ». En effet, beaucoup de gènes de l’immunité étant portés par les chromosomes sexuels, l’échappement à l’inactivation d’autres gènes de l’X méritera sans doute de nouvelles investigations. 

Note :

*unité 1043 Inserm/CNRS/UT3 Paul Sabatier, équipe Différences liées au sexe dans l’immunité : mécanismes et physiopathologie, Centre de Physiopathologie de Toulouse-Purpan, CHU Purpan 

Source

M Souyris et coll. TLR7 escapes from X chromosome inactivation in immune cells. Science Immunology 2018 https://doi.org/10.1126/sciimmunol.aap8855