Épilepsie : Quand l’observation ne permet plus l’apprentissage

L’épilepsie est associée à des troubles de l’apprentissage et de la mémoire. À l’Institut de neurosciences des systèmes à Marseille, l’équipe de Christophe Bernard utilise un modèle animal pour les décrire et parvenir à mieux les résoudre.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°55

Les rats épileptiques font preuve d’un manque criant de mémoire quand il s’agit d’effectuer une tâche apprise en observant un congénère entraîné pour la réaliser. Montrez-leur un rongeur trouver de la nourriture dans un labyrinthe, ils seront incapables de la dénicher la première fois qu’ils auront accès au labyrinthe. En comparaison, des animaux non épileptiques trouveront l’aliment directement après avoir observé comment s’y prend un autre rat. « Les animaux épileptiques ne sont tout simplement pas capables d’apprendre une tâche par observation ! Et nous avons bien vérifié qu’il ne s’agit pas de problèmes de repérage dans l’espace ou encore de déficit olfactif », explique Christophe Bernard, responsable de ces travaux à l’Institut de neurosciences des systèmes à Marseille. En langage scientifique, ces animaux sont atteints d’un trouble majeur de la mémoire observationnelle.

« Il est bien documenté que les personnes épileptiques présentent souvent des troubles de mémoire et d’apprentissage. Cela concernerait près d’un tiers des malades. Mais ces troubles n’ont pas été étudiés de façon détaillée, en tenant compte des différentes composantes sensorielles ou mentales associées aux apprentissages, souligne le chercheur. L’originalité de notre travail est de s’être penché sur la mémoire observationnelle, principale source d’apprentissage qui nous accompagne tout au long de la vie. Elle est sollicitée dans l’enfance pour comprendre comment parler, lire, écrire, jouer d’un instrument, suivre un itinéraire, pratiquer un sport… À l’âge adulte, elle nous permet d’apprendre à exercer un nouveau métier, à cuisiner ou encore à bricoler. L’augmentation exponentielle des tutoriels vidéo en ligne, sur tous les sujets, montre bien l’importance de ce mode d’apprentissage ! L’observation est en permanence sollicitée pour apprendre de nouvelles tâches », insiste Christophe Bernard.

Compenser grâce aux autres formes d’apprentissage

Les résultats de ce travail fondamental mené chez l’animal doivent évidemment être confirmés chez l’humain. Mais ils ouvrent déjà de nouvelles perspectives de recherche : « Bien que très importante, la mémoire observationnelle n’est pas la seule impliquée dans les apprentissages : il y a la mémoire mimétique, qui nous permet d’apprendre en copiant mécaniquement un geste ou une parole, la mémoire dirigée par des explications orales, le souvenir de nos propres expérimentations fondées sur la récompense ou l’échec… Or, dans notre expérience nous avons constaté qu’en laissant les rats épileptiques explorer le labyrinthe de façon répétée, ils finissent par trouver comment accéder à la nourriture. Ils présentent donc d’autres formes de mémoire fonctionnelles. »

Comprendre quelles sont les capacités déficitaires et celles efficaces chez les patients épileptiques permettrait de les aider à mieux progresser. On sait par exemple qu’après un accident vasculaire cérébral (AVC), il est important de mobiliser certaines régions du cerveau pour compenser des pertes neuronales et faciliter la récupération. L’idée est de faire la même chose dans l’épilepsie : stimuler les formes d’apprentissage préservées pour compenser la perte des autres. « Le chemin est encore long. Mais à terme, ces travaux pourraient apporter un vrai bénéfice aux patients », conclut Christophe Bernard.


Christophe Bernard dirige l’équipe PhysioNet à l’Institut de neurosciences des systèmes (unité 1106 Inserm/Aix-Marseille Université), à Marseille.


Source : T Doublet et coll. Deficit in observational learning in experimental epilepsy. Epilepsia, édition en ligne du 5 octobre 2022 ; doi : 10.1111/epi.17421

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Dessin. Circuit de neurones. Auteur : Daniel Friedman
Neurones embryonnaires de rat. Après 14 jours de culture, ils ont été transfectés par un plasmide codant pour la forme sauvage de la sous-unité gamma 2 du récepteur au GABA (GABRG2), un neurotransmetteur impliqué dans l'épilepsie, puis laissé en culture 19 jours supplémentaires avant fixation et marquage par immunofluorescence. Les noyaux cellulaires sont marqués en bleu par le Dapi, Gabrg2 est marqué en vert et les synapses inhibitrices sont repérées en rouge par un anticorps anti GAD6 (GAD65 + GAD67).