Les effets négatifs du premier confinement sur l’hygiène de vie des Français

Imposé pour lutter contre la première vague de l’épidémie de Covid-19, le confinement que nous avons vécu au printemps a induit des changements de comportements négatifs chez une majorité de Français : 80% des 4 005 participants à une cohorte de personnes représentatives de la population adulte ont fait moins d’exercice ou moins bien mangé, avec un risque pour leur santé. Ces changements négatifs seraient en partie liés à la peur de l’épidémie.

Alors que les Français vivent leur deuxième épisode de confinement, que savons-nous sur les changements de comportements induits par le premier ? Comment les Français ont-ils réagi face à cette situation ? Quelle était leur perception de l’épidémie au printemps ? Pour répondre à ces questions, Aymery Constant* et Jocelyn Raude**, maîtres de conférences à l’École des hautes études en santé publique à Rennes, ont interrogé 4 005 personnes représentatives de la population adulte française, via une société spécialisée. 

Les participants à l’étude ont répondu à un questionnaire diffusé entre la troisième et la quatrième semaine de confinement, du 8 au 20 avril dernier. Les questions portaient sur l’évolution de leurs habitudes depuis la mi-mars (début du confinement), pour cinq comportements associés à l’hygiène de vie : temps passé devant les écrans, grignotage, consommation de fruits et légumes, exercice physique et marche. En parallèle, les participants étaient interrogés sur leur perception de l’épidémie. Les questions portaient sur leur sentiment de vulnérabilité (« Suis-je susceptible d’être contaminé ? »), leur perception de la sévérité de la maladie, leur peur face à l’épidémie (« Est-ce que l’infection me fait peur, est-ce que j’y pense souvent ? ») et enfin leur confiance envers les mesures prises par le gouvernement (« Me paraissent-elles efficaces pour contenir l’épidémie ? Les gestes barrières sont-ils utiles ? »). 

La cohorte était composée à 55% de femmes. Par ailleurs, 42% des personnes étaient en activité et 22% retraitées. Trois quarts des individus vivaient en ville dans des surfaces supérieures à 80 m2 et à plusieurs dans la même habitation. Environ 66% avaient un jardin et/ou une terrasse. Enfin, 60% buvaient occasionnellement ou régulièrement de l’alcool, un quart fumait et 4 % étaient obèses. 

Plus d’écran et moins d’activité physique

Plus de 8 personnes sur 10 ont déclaré au moins un changement négatif depuis le début confinement alors que seulement 4 sur 10 ont déclaré un changement positif. Concrètement 60% marchaient moins qu’avant, 59% passaient plus de temps devant les écrans et 45% faisaient moins d’exercice en intérieur. Parmi les profils à risque, on trouve les hommes, les personnes exposées à des problèmes financiers du fait de l’épidémie, les personnes ayant un jardin ou une terrasse (qui incite moins à sortir pour prendre l’air) ou vivant en ville, ainsi que les personnes obèses. Mais ces comportements négatifs étaient surtout associés, d’après les questionnaires, à la peur de l’épidémie et au sentiment de vulnérabilité. « Les personnes qui avaient ces sentiments osaient moins sortir car elles craignaient d’être infectées et de tomber malade. La peur est paralysante et peut entraîner un repli, des décisions défensives ou un isolement, ce qui s’est traduit ici par une moins bonne hygiène de vie », explique Aymery Constant. 

Cependant, certains participants ont aussi déclaré des changements positifs intervenus pendant cette période : 18% ont réduit leur grignotage, 13% ont augmenté leur consommation de fruits et légumes et 11% leur pratique du sport à la maison. Ces évolutions étaient quant à elles davantage associées à un bon niveau de confiance envers les mesures gouvernementales, incitant probablement à l’adoption de mesures positives pour se maintenir en bonne santé, lutter contre le surpoids ou la prise de poids, des facteurs de gravité de la Covid-19. « Ces personnes reconnaissaient que la Covid-19 est une maladie grave mais se sentaient dans une situation de contrôle du danger. Elles ne se sont pas laissé envahir par la peur ou l’anxiété, suppose Aymery Constant. Il faut toutefois noter que des changements positifs pouvaient coexister avec des changements négatifs, ce qui incite à interpréter ces résultats avec prudence. »

Par ailleurs, sur le plan de l’alcool et du tabac, 15% des participants se sont mis à boire plus et 21% à boire moins, tandis que 22% ont fumé davantage et 17% ont réduit leur tabagisme, sans que les auteurs aient pu associer de profil significatif à ces changements. 

Sortir courir ou acheter des fruits et des légumes

« Lors du confinement, le gouvernement laisse la possibilité à chacun de sortir une heure par jour pour effectuer une activité physique. Il était donc possible ce printemps d’adopter une hygiène de vie correcte. Mais on voit à travers cette étude que le sentiment de peur était important, certainement en raison des messages anxiogènes qui visaient à expliquer la nécessité du confinement. Ces messages étaient légitimes du fait de la situation, mais ils ont probablement eu un impact plus ou moins paralysant sur une partie de la population, avec un effet négatif secondaire sur l’hygiène de vie et donc, à plus long terme, sur la santé mentale et physique, estime le chercheur. Les messages doivent favoriser la confiance dans la prévention à l’échelle individuelle, pour que chacun adhère aux mesures barrières et continue à vivre le plus normalement possible par ailleurs. Il faut encourager l’utilisation des attestations pour aller marcher, courir ou acheter des fruits et légumes frais », ajoute-il. 

Une autre enquête a été lancée en juin-juillet pour suivre l’évolution de ces comportements, avec les mêmes questionnaires et les mêmes participants. Les résultats ne sont pas encore disponibles. « Face à une situation inédite, les peurs se cristallisent et les changements peuvent être brutaux. Puis il y a un phénomène d’habituation naturel qui modifie de nouveau les comportements. C’est ce que l’on devrait retrouver dans cette seconde enquête », prévoit Aymery Constant. Ce phénomène d’habituation pourrait en outre contribuer à réduire les changements d’habitude lors du deuxième confinement, mais cela reste évidemment à vérifier. 

Notes :
*unité 1241 Inserm/INRAE/Université de Rennes 1, Institut NuMeCan
**unité 1207 Inserm/IRD/Aix-Marseille université 

Source : A. Constant et coll. Socio-Cognitive Factors Associated With Lifestyle Changes in Response to the COVID-19 Epidemic in the General Population : Results From a Cross-Sectional Study in France. Front Psychol. du 29 septembre 2020. DOI : 10.3389/fpsyg.2020.579460