Douleur chronique : Le puzzle de la fibromyalgie bientôt résolu ?

Une nouvelle expertise collective de l’Inserm dédiée à la fibromyalgie est publiée aujourd’hui. Conçu à la demande de la direction générale de la santé et très attendu par les associations de patients, ce rapport fait le point sur les connaissances relatives à ce syndrome, et notamment sur ses mécanismes physiopathologiques. Il ressort que, si beaucoup reste encore à découvrir, les chercheurs comprennent mieux les causes de ce trouble longtemps demeuré opaque.

Un article à retrouver dans magazine de l’Inserm n°48

Douleurs chroniques généralisées, fatigue inexpliquée, troubles du sommeil, de la mémoire et de la concentration susceptibles d’induire une baisse de la mobilité, dépression, arrêts de travail à répétition, isolement social… la fibromyalgie peut gravement nuire à la qualité de vie. Loin d’être rare, ce syndrome touche 1 à 5% de la population, soit plus de 680 000 personnes en France, dont 4 fois plus de femmes, selon le portail d’information sur les maladies rares Orphanet, créé par l’Inserm. Or à ce jour, il demeure mal diagnostiqué et traité. Et pour cause : les mécanismes à son origine restent mal compris. Mais bonne nouvelle, la situation est en train de s’améliorer ! « Comme en fait état la nouvelle expertise collective Inserm – laquelle a permis d’analyser 1 600 travaux sur ce sujet publiés ces dix dernières années –, la recherche sur la fibromyalgie a permis plusieurs avancées majeures lors de cette dernière décennie. Lesquelles ont fait passer ce trouble de l’état de syndrome “médicalement non expliqué” qualifié par certains de “maladie imaginaire”, purement psychologique, à une maladie à part entière, potentiellement liée à des anomalies biologiques », se réjouit Didier Bouhassira1, neurologue à l’hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-Billancourt.

Plusieurs dysfonctionnements au niveau cérébral…

Tout s’est accéléré au début des années 2000, avec l’arrivée des techniques d’imagerie cérébrale, comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Grâce à ces puissants outils, les chercheurs ont pu observer le cerveau des patients atteints de fibromyalgie, en fonctionnement. Et eurêka ! Ils y ont décelé plusieurs anomalies. « Comparés aux personnes saines, les patients analysés présentaient, pour une même stimulation douloureuse, une sur-activation d’une région cérébrale qui mesure la douleur : le cortex pariétal somato-sensoriel [au niveau du sommet du crâne, ndlr.] ; et à l’inverse une sous-activation des régions qui exercent un contrôle sur la douleur, comme les régions fronto-cingulaires [à l’avant du cerveau], le cervelet [sous et à l’arrière du cerveau] ou le cortex temporal interne [au niveau des tempes] », développe Éric Guedj2, neuro-imageur à l’hôpital de la Timone, à Marseille, et co-auteur d’une étude allant dans ce sens. « Ces dysfonctionnements pourraient expliquer l’hypersensibilité à la douleur liée à la fibromyalgie, ou “allodynie”, qui fait qu’un stimulus normalement indolore, comme une petite pression sur la main, peut être perçue comme douloureux », souligne Gisèle Pickering3, pharmacologue spécialiste de la douleur à Clermont-Ferrand. Mais quelle est la cause de ces différences cérébrales ? Les chercheurs n’ont pas encore de réponse définitive à proposer. Cependant, plusieurs études suggèrent qu’elles pourraient être liées à des facteurs psychologiques, comme « certains traits de personnalité, tels que la tendance à ressentir souvent des émotions négatives (colère, tristesse…) ou la recherche de la perfection ; une difficulté à identifier et à exprimer ses émotions ; ou encore un vécu traumatique associé par exemple à des maltraitances ou des abus sexuels », illustre Morgiane Bridou4, maîtresse de conférences en psychologie à l’université Paris VIII. Ces facteurs psychologiques favoriseraient un stress important, lequel générerait en conséquence les modifications observées au niveau des voies cérébrales de la douleur. En effet, « les systèmes de régulation du stress et de la douleur sont très interconnectés au niveau cérébral », ajoute Didier Bouhassira. Ce lien entre facteurs psychologiques et changements neurobiologiques fait de la fibromyalgie un syndrome « biopsychologique » – loin de la vision du trouble purement psychologique, longtemps mise en avant par certains quand l’état des connaissances mettait en exergue l’absence de lésion identifiée ou de dysfonctionnement mesurable. 

… et au niveau « périphérique »

Mais il n’y aurait pas uniquement des changements au niveau cérébral. D’autres travaux récents ont révélé que la fibromyalgie peut être liée, dans certains cas, à des atteintes « périphériques », au niveau des muscles : activité électrique musculaire anormale, dysfonctionnements des mitochondries (les usines énergétiques des cellules)… « Ces perturbations pourraient être à l’origine des douleurs et de la faiblesse musculaires souvent associées à la fibromyalgie », postule Gisèle Pickering. Lors des sept dernières années, plusieurs autres travaux, comme ceux publiés en 2018 par le groupe américain de Victoria Lawson au Centre médical Dartmouth- Hitchcock, ont révélé que la fibromyalgie est aussi associée, dans certains cas, à un autre type d’atteintes périphériques, qui touchent, cette fois, de petites fibres nerveuses qui conduisent l’influx douloureux des organes à la moelle épinière : les fibres A‑delta et les fibres C. « Réalisés le plus souvent sur des échantillons de peau de patients, ces travaux ont mis en évidence une diminution significative de la densité en ces fibres chez 30 à 50% des patients », détaille Didier Bouhassira. Mais ces anomalies des petites fibres sont-elles la cause ou la conséquence de la fibromyalgie ? Pour en savoir plus, le neurologue francilien et ses collègues prévoient de lancer début 2021 une étude auprès de 150 à 200 patients suivis pendant un an au moins, qui visera à déterminer – entre autres – si l’évolution de la douleur au cours du temps est associée à une évolution de ces anomalies neurologiques. Si c’est le cas, « cela permettrait de conclure à un lien de causalité » , précise le chercheur. Ainsi, à mesure que la recherche avance, la fibromyalgie apparaît de plus en plus comme un syndrome extrêmement complexe, qui découle très probablement de divers mécanismes physiopathologiques. Pour lever le voile sur ces derniers et déterminer le niveau d’implication de chacun, « il sera crucial de développer des modèles animaux fiables, qui présentent tous les symptômes de la fibromyalgie, induits par les mêmes mécanismes que ceux survenant chez l’humain », souligne la neurobiologiste Sophie Pezet5, à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Les dix prochaines années devraient ainsi être riches en enseignements concernant les causes profondes de la fibromyalgie. 

Fibromyalgie, une expertise collective de l’Inserm – animation – 2 min 52 – 2020 

La recherche de biomarqueurs s’intensifie !

Si à ce jour les chercheurs n’ont identifié aucun marqueur biologique susceptible d’aider à diagnostiquer de façon plus objective la fibromyalgie, la recherche dans ce domaine s’accélère. Cela notamment grâce à l’analyse depuis cinq ans des gènes des patients et de leur épigénétique, qui correspond à l’ensemble des modifications chimiques autour de la molécule d’ADN et non dans sa séquence même. Lors d’une récente étude franco-suisse — non encore publiée — qui a impliqué l’équipe de Gisèle Pickering et permis d’analyser l’ADN de 300 personnes souffrant de la fibromyalgie, les chercheurs ont réussi à identifier un variant génétique qui semble associé à ce trouble. Désormais, ils tentent de confirmer ces données sur un plus grand nombre de patients, à savoir 700. Les premiers résultats sont attendus pour 2022. 

Notes :
1 : unité 987 Inserm/Université de Versailles-Saint-Quentin-en- Yvelines, Physiopathologie et pharmacologie clinique de la douleur
2 : unité 7249 Aix-Marseille Université/CNRS/ Centrale Marseille – Institut Fresnel
3 : CIC Inserm 1405/Université Clermont Auvergne
4 : Université de Paris VIII, Laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie
5 : unité 1273 Inserm/ESPCI de Paris/CNRS, Physique pour la médecine