Diabète : Un bilan de santé via une dent connectée

La salive est un miroir de notre état de santé. Facile à prélever, elle pourrait se substituer aux prises de sang. Des chercheurs toulousains sont en train de mettre au point un biocapteur implantable sur une dent, capable de suivre, via la salive, l’équilibre de la glycémie chez des sujets diabétiques. Et peut-être, à l’avenir, d’autres paramètres biologiques.

Un article à retrouver dans le n°56 du magazine de l’Inserm

Et si, dans un futur proche, vos dents permettaient de remplacer les bilans sanguins ? Les chercheurs Matthieu Minty et Vincent Blasco-Baque de l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires de Toulouse pensent que l’analyse de la salive pourrait constituer une alternative intéressante. Ils développent actuellement un dispositif mobile, facilement utilisable, pour permettre aux patients diabétiques de suivre leur taux de glucose. Avec l’espoir de le miniaturiser suffisamment pour l’implanter à demeure dans la cavité buccale. Ce projet de dent connectée pourrait devenir réalité d’ici 2025.

La bouche n’est pas qu’une simple porte d’entrée des aliments, à l’interface entre le monde extérieur et le système digestif. Les communications qu’elle entretient avec l’organisme sont riches et multiples. Elles reposent notamment sur les fonctions de la salive, dont les composants contribuent à la digestion, à l’immunité… Des processus dans lesquels le microbiote buccal, l’un des plus abondants et des plus diversifiés de notre organisme, a un rôle déterminant. « Il interagit avec le microbiote intestinal et entretient des liens étroits avec notre santé, raconte Vincent Blasco-Baque. Lorsque l’alimentation est durablement déséquilibrée ou que la santé bucco-dentaire est insuffisante, l’équilibre microbien local est perturbé. » Des espèces néfastes s’y développent plus facilement, produisent des métabolites et engendrent une réaction inflammatoire qui perturbent l’immunité locale. Ces différents composants peuvent également interagir avec le microbiote intestinal ou passer dans la circulation sanguine, et engendrer de nouvelles anomalies. « Non seulement la composition de la salive reflète la santé bucco-dentaire, mais il apparaît aussi de plus en plus clairement qu’elle est le miroir de la santé générale », explique Matthieu Minty. Le chercheur a par exemple décrit que des joueurs de rugby professionnels réalisaient de moins bonnes performances sportives lorsqu’ils avaient des maladies bucco-dentaires (caries, gingivites, parodontites…). « Et on sait que ces maladies bucco-dentaires sont associées à certaines maladies cardiovasculaires, respiratoires ou neurodégénératives. Des études récentes décrivent aussi que certains facteurs microbiens oraux jouent un rôle dans le risque de développer certains cancers, ou une fibrose du foie. »

Un algorithme prédictif de la glycémie

Les deux chercheurs se sont penchés sur les relations entre la santé buccale et l’équilibre glycémique. « Les liens qui unissent les maladies parodontales et le diabète sont bidirectionnels. On sait que le diabète sont bidirectionnels. On sait que le diabète modifie l’équilibre bucco-dentaire tandis que soigner la maladie parodontale permet d’améliorer le contrôle de la glycémie », précise Vincent Blasco-Baque. L’idée du test salivaire s’est rapidement imposée : « Les diabétiques doivent suivre régulièrement leur taux de glucose sanguin, parfois plusieurs fois par jour. On imagine donc le potentiel d’un test qui ne nécessiterait pas de prélever du sang pour les 3,5 millions de diabétiques en France. » Grâce à cette dent connectée, les mesures pourraient être réalisées en continu, transmises sur leur smartphone et à leur médecin. Une façon simple d’assurer le contrôle de leur maladie et d’adapter si besoin la prise en charge.

La première étape du développement d’un tel capteur a été d’établir l’algorithme qui relie la composition salivaire biologique et microbiologique et la glycémie. Ces mesures ont été menées chez des hommes et des femmes non diabétiques, à jeun ou non. Les chercheurs ont ainsi pu établir l’évolution de certains composants salivaires (acides gras, cholestérol, lipase et autres enzymes…) en fonction des valeurs de glycémie. « Nous avons aussi observé des variations significatives dans l’abondance de certaines espèces bactériennes au niveau buccal comme Streptococcaceae et Prevotellaceae », ajoute Matthieu Minty. D’autres espèces étaient également plus spécifiques des femmes ou des hommes. Les chercheurs ont intégré l’ensemble de ces résultats dans une banque de données afin d’en extraire un algorithme prédictif de la glycémie, sur la base d’une stratégie de machine learning, une forme d’intelligence artificielle. « Nous sommes en train de valider ce modèle à partir de prélèvements de salive fournis par une cohorte de patients diabétiques », poursuit le chercheur.

Des biomarqueurs aux biocapteurs

Pour passer à la pratique clinique, les chercheurs ont un planning ambitieux, comme l’explique Vincent Blasco-Baque : « Nous sommes en train de finaliser la mise au point d’un prototype mobile de détection que les patients diabétiques pourront rapidement utiliser à domicile pour valider les biomarqueurs identifiés, en découvrir de nouveaux, et affiner l’algorithme. Nous prévoyons de miniaturiser au maximum ce dispositif dans le courant de 2024. Notre idée est qu’il soit suffisamment petit pour être implanté sur une couronne dans la bouche des patients. » Ces différentes étapes reposent sur la collaboration du laboratoire avec des équipes en charge du développement technologique, une phase pour l’instant en cours de montage avec des acteurs locaux. Une levée de fonds sera aussi nécessaire pour finaliser le projet. Pour cela, les chercheurs sont accompagnés par Inserm Transfert, la filiale privée de l’Inserm chargée de coordonner la valorisation des innovations issues de ses laboratoires de recherche.

Une fois un tel biocapteur au point, il pourrait être utilisé pour suivre d’autres maladies. Grâce à leur implantation au sein de l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires et du CHU de Toulouse, les chercheurs ont accès à plusieurs cohortes de patients. « Dans le futur, nous pourrons conduire de nouvelles études pour établir les biomarqueurs salivaires spécifiques d’autres pathologies, comme l’insuffisance cardiaque ou les maladies coronariennes, avance Vincent Blasco-Baque. Non seulement un tel dispositif pourrait servir au suivi des maladies mais, pourquoi pas, aussi devenir un outil précieux pour le développement de la médecine prédictive et préventive individualisée. » Une façon de disposer facilement d’un bilan de santé, sans recourir au laboratoire d’analyse.


Matthieu Minty est chercheur au sein de l’équipe Incomm : microbiote oral – facteur de risque du phénotype cardio-métabolique, dirigée par Vincent Blasco-Baque, à l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires de Toulouse (i2MC, unité 1297 Inserm/Université Toulouse III – Paul-Sabatier).


Auteur : C. G.

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