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Dextérité : Les révolutions de la rééducation

Avec le Dextrain Manipulandum, issu de leurs travaux à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris, Påvel Lindberg et ses collègues enrichissent la rééducation de la motricité fine : jusque-là purement fonctionnelle, celle-ci se dote désormais d’un instrument de mesure quantitative pour évaluer et exercer les cinq composants clés de la dextérité. En complément, les dernières avancées de la neurologie et de la neuro-imagerie permettent de tirer le meilleur parti de la plasticité cérébrale des patients.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°53

L’AVC est la première cause de handicap physique acquis en Europe, et touche plus de 140 000 personnes en France par an. « Il est provoqué par une occlusion ou une hémorragie des vaisseaux du cerveau, rappelle Isabelle Loubinoux*, cheffe de l’équipe Idream de l’unité mixte Toulouse neuro imaging center (Tonic). Juste après l’accident, en phase aiguë, il faut agir au plus vite pour limiter l’étendue de la lésion. Time is brain, dit l’adage ! » Grâce à la sensibilisation de la population, au déploiement du Samu et à une prise en charge hospitalière accélérée, 10 à 15 % des patients concernés bénéficient d’une thrombolyse, technique qui permet de dissoudre un caillot sanguin, ou d’une thrombectomie, pour le retirer.

Mais la phase aiguë ne dure que de 6 à 24 heures chez certains patients. Ensuite, la lésion se stabilise, d’abord en phase subaiguë, puis en phase chronique à partir de 6 mois. La moitié des patients présente alors des troubles de la motricité fine sur le long terme : ils ne parviennent plus à boutonner une chemise ni à manipuler un objet par exemple. « 20 % de ces personnes ont moins de 65 ans, remarque Påvel Lindberg**. Et toutes veulent une vie active ! » Si la rééducation des membres supérieurs existe, les solutions ciblées pour le contrôle fin des doigts manquent. C’est là qu’intervient le Dextrain Manipulandum, lauréat du concours Innovation handicap Sofmer 2021.

Le Dextrain Manipulandum est un petit objet métallique qui tient dans une main. Doté de 5 pistons, il évoque un peu une trompette.
Le Dextrain Manipulandum © Dextrain

Mesurer la dextérité

« La dextérité des doigts est souvent ce qui est le plus difficile à récupérer après un AVC », pointe Isabelle Loubinoux. Nous disposons certes d’échelles fonctionnelles de la motricité, mais les tests associés sont d’ordre qualitatif : le patient peut-il saisir ou lâcher un objet ? Le Dextrain Manipulandum, lui, propose une évaluation quantitative des cinq composants de la dextérité : le contrôle de la force, l’indépendance des doigts, la temporalité du mouvement, la vitesse d’exécution du geste et l’apprentissage de séquences de mouvements. Connecté à une tablette, il permet de détecter et de suivre ces différents indicateurs à partir de consignes données au patient. Ainsi, ce dernier peut observer en direct la traduction quantitative du geste réalisé sur cet instrument qui, avec ses cinq pistons, évoque un peu une trompette. Pour mesurer le geste fin, les inventeurs de ce dispositif se sont associés les compétences d’ingénieurs, dont ceux de l’entreprise Sensix, spécialisée en détecteurs de force. Il s’agit aussi de mieux cerner les spécificités de chacun : « Les patients victimes d’AVC ne sont jamais les mêmes, ce que tend à faire oublier l’usage de larges catégories diagnostiques, précise Påvel Lindberg. Suivre ces patients dans le temps permet de mieux planifier et cibler la rééducation de leurs déficits propres. »
Car le Dextrain Manipulandum n’est pas qu’un appareil de mesure et d’évaluation, c’est aussi un outil clinique précieux, voué à compléter la panoplie des dispositifs de rééducation motrice. Dans ce but, Påvel Lindberg cofonde en février 2021 la start-up Dextrain. « Au-delà de ce que l’ingénierie rend possible, tempère-t-il, la pertinence clinique doit prédominer. En kinésithérapie et en ergothérapie, l’outil ne sera adopté que si, validé scientifiquement, il est aussi compatible avec les gestes, les contraintes et les objectifs cliniques. De nombreux praticiens hospitaliers ont déjà indiqué au directeur scientifique de Dextrain, Maxime Térémetz**, qu’ils voulaient l’essayer. Or, celui-ci en a testé le premier prototype pendant sa thèse ! Le développement de l’instrument avait été ensuite soutenu par la SATT Erganeo à partir de 2016, en partenariat avec l’université Paris-Descartes. »

Le Dextrain est relié à une tablette afin de réaliser les exercices de rééducations.
Exercice permettant d’entraîner l’individualisation des mouvements des doigts. La force exercée par chacun des doigts est représentée par une jauge de force (une colonne). Une cible visuelle apparaît et indique le ou les doigts à activer par le patient. Il doit alors remplir les jauges correspondant aux doigts ciblés. © Dextrain

Au plus près du cerveau

Ce succès est en même temps celui d’une nouvelle orientation clinique de la rééducation, étayée par la neuro-imagerie. « Couplées à l’imagerie cérébrale, explique le neuroscientifique, les données du Dextrain Manipulandum peuvent nous renseigner sur les structures du cerveau atteintes dans certains déficits moteurs, causés ou non par un AVC. » On peut localiser les zones affectées, mais aussi constater l’effet neurologique des exercices de rééducation. La plasticité cérébrale est au centre de ces questions ! Cette tendance du cerveau à remodeler ses propres connexions se manifeste de deux façons, résume Isabelle Loubinoux. D’une part, « il y a dans le cerveau une intense compétition entre territoires : si un organe cesse d’envoyer des informations au cerveau, celui-ci finit par s’en désintéresser et les régions cérébrales sont récupérées pour d’autres usages ». Il est donc vital que cet organe « se fasse connaître » au cerveau, par une rééducation motrice ou même sensorielle. D’autre part, « avec la rééducation, des voies neuronales redondantes mais dormantes peuvent être réveillées, par exemple pour constituer un réseau moteur alternatif. Et des aires cérébrales peuvent apprendre une nouvelle fonction, afin de remplacer les aires endommagées. »

En médecine régénérative, ces découvertes permettront d’identifier de nouvelles approches pour relancer et orienter cette plasticité : thérapies médicamenteuses, greffes de cellules souches, stimulation transcrânienne non invasive... « Pour le moment, reconnaît Påvel Lindberg, nous cherchons à mesurer et mieux comprendre les effets neurologiques de la rééducation et des traitements. Mais à l’avenir, avec la neuro-imagerie, je crois que nous allons vers une analyse individualisée et prédictive. Des déficits fins de dextérité pourraient aussi constituer un signe avant- coureur d’une maladie neurologique, comme la maladie d’Alzheimer, que nous pourrions ainsi suivre au plus tôt. »

Note :
* unité 1214 Inserm/Université Toulouse III – Paul-Sabatier, Toulouse Neuroimaging Center (Tonic), équipe iDream
** unité 1266 Inserm/Université Paris Cité, Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (IPNP), équipe Accidents vasculaires cérébraux : déterminants du pronostic, recherche translationnelle et médecine personnalisée

Sources :

  • L. Carment et al. Manual Dexterity and Aging : A Pilot Study Disentangling Sensorimotor From Cognitive Decline. Front Neurol., 29 octobre 2018 ; doi : 10.3389/fneur.2018.00910
  • J. Birchenall et al. Individual recovery profiles of manual dexterity, and relation to corticospinal lesion load and excitability after stroke – a longitudinal pilot study. Neurophysiol Clin., 31 octobre 2018 ; doi : 10.1016/j.neucli.2018.10.065
  • M. Térémetz et al. A novel method for the quantification of key components of manual dexterity after stroke. J NeuroEng Rehabil., 2 août 2015 ; doi : 10.1186/s12984-015‑0054‑0

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