Développement embryonnaire : La nétrine‑1 aiguille les cellules souches

Au cours du développement embryonnaire, certaines cellules souches se multiplient pour atteindre un nombre suffisant avant de se différencier pour former toutes les cellules spécialisées de notre organisme. Une protéine – la nétrine‑1 – et ses récepteurs, situés à la surface des cellules souches, semblent jouer un rôle d’arbitrage prépondérant dans la coordination de ce processus complexe.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°47

La science réserve bien des surprises. Rien ou presque ne laissait penser que la nétrine‑1 puisse avoir un rôle déterminant dans le devenir des cellules souches pluripotentes, ces cellules capables de se différencier en n’importe quel type cellulaire sans pour autant produire un organisme entier à elles seules. « Cette protéine sert de guidage au prolongement des neurones – les axones – lors du développement du système nerveux. Or, cette étape a lieu après l’implantation de l’embryon dans l’utérus, tandis que le sort des cellules souches pluripotentes se joue bien avant », explique Fabrice Lavial*, chercheur au Centre de recherche en cancérologie de Lyon. Toutefois, à la suite d’un criblage, la nétrine‑1 a été identifiée parmi d’autres molécules comme ayant un effet potentiel dans le maintien des cellules souches dans un état indifférencié. Une apparente contradiction qui a suffisamment intrigué le chercheur pour qu’il décide d’en savoir plus. Bonne intuition ! Car non seulement la nétrine‑1 est présente avant l’implantation de l’embryon, mais son rôle est important et tout à fait original : elle est capable de donner aux cellules souches des ordres contradictoires : rester souche ou se différencier. « Les cellules souches pluripotentes de l’embryon reçoivent de nombreux signaux leur demandant de se multiplier ou de se différencier. Ce qu’on ne comprenait pas bien, c’est comment une cellule, qui est exposée à tous ces signaux à un instant T, va s’orienter vers une destinée plutôt qu’une autre. Nos travaux suggèrent que la nétrine‑1 contribue à cet arbitrage », révèle le chercheur lyonnais. 

Un seul ligand, mais deux récepteurs

Plus que la nétrine‑1, ce sont les récepteurs à la surface des cellules sur laquelle elle se fixe de manière spécifique en tant que ligand qui jouent le rôle d’aiguillage : « Cette protéine peut se lier à deux récepteurs : Unc5b et Neo1. En fonction de la quantité respective de chacun d’entre eux, la nétrine‑1, en s’y fixant, va orienter la cellule vers telle ou telle destinée, rapporte Fabrice Lavial. In vitro, nous avons modifié le ratio des récepteurs sur des cellules souches pluripotentes, ce qui nous a permis de montrer qu’une forte induction de Unc5b active les voies de différenciation en réponse à la nétrine‑1. Au contraire, une grande quantité de récepteurs Neo1 maintient les cellules souches indifférenciées. » Ces découvertes indiquent qu’il ne faut pas se fier seulement aux ligands ou à leurs quantités respectives, mais également aux récepteurs présents sur les cellules souches. « Nous avions jusque-là une vision trop manichéenne de la façon dont un ligand fournit une information, commente le chercheur. Nous essayons maintenant de découvrir ce qui contrôle la dynamique de ce ligand nétrine‑1, et la quantité respective de ses récepteurs, et ce à l’échelle de la cellule unique. »

Ces travaux changent notre compréhension de la régulation du devenir des cellules souches. Mais ils pourraient aussi avoir une application en oncologie. « La nétrine‑1 est surexprimée dans de nombreux cancers et nos résultats suggèrent qu’elle pourrait conférer aux cellules cancéreuses des propriétés souches. Or les cellules souches cancéreuses sont difficiles à éliminer et responsables des rechutes. En bloquant l’action de la nétrine‑1 dans certains contextes pathologiques, on pourrait en théorie restaurer leur capacité à se différencier et ainsi les supprimer plus facilement », envisage Fabrice Lavial pour conclure. 

Note :
*unité 1052 Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard-Lyon 1, Centre de recherche en cancérologie de Lyon, équipe Reprogrammation cellulaire et oncogénèse

Source : A. Huyghe et al. Netrin‑1 promotes naive pluripotency through Neo1 and Unc5b co-regulation of Wnt and MAPK signalling. Nature Cell Biol., 30 mars 2020 ; doi : 10.1038/s41556-020‑0483‑2