Des lymphocytes T contrôlés à l’aide de la lumière

Une équipe du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy a mis au point un système qui permet d’activer des lymphocytes T à l’aide de la lumière, grâce à une approche nommée « optogénétique ». L’outil a permis d’étudier la réponse de ces cellules clés de l’immunité suite à différentes conditions d’activation. In vitro, il a même permis d’induire l’attaque de cellules cancéreuses. Cette preuve de concept laisse entrevoir l’apport potentiel de cette approche en immunothérapie.

Les lymphocytes T sont des cellules clés de l’immunité qui peuvent conduire à l’élimination d’agents pathogènes ou de cellules tumorales. Pour accomplir leur mission, ces cellules doivent tout d’abord être activées. Cette étape passe par une série d’interactions transitoires entre les lymphocytes T encore inactifs et des fragments de l’indésirable à éliminer (des « peptides antigéniques » ou « antigènes »). Suite à cette activation, les lymphocytes T se différencient en sous-types cellulaires qui défendront l’organisme par plusieurs mécanismes, notamment grâce à la production de molécules impliquées dans l’inflammation ou de substances cytotoxiques.

Au cœur de ce processus, les récepteurs présents à la surface des lymphocytes T qui détectent les antigènes étrangers jouent un rôle crucial : « Ces récepteurs, les TCR, sont les principaux acteurs de l’activation des lymphocytes T. Ils semblent capables d’intégrer ou de sommer différents signaux perçus lors de séries de stimulations par des antigènes. Toutefois aucun travail n’avait jusque-là permis de mettre en évidence un lien de causalité entre la dynamique de ces stimulations et la réponse obtenue », explique Rémi Lasserre, chercheur Inserm au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy. Autrement dit, on comprend encore mal les mécanismes qui vont définir le mode d’action d’un lymphocyte T suite à son activation.

Un phytochrome sensible à la lumière

Pour parvenir à en savoir plus, son équipe a construit un dispositif qui permet de moduler la stimulation des TCR dans le temps et dans l’espace, grâce à la lumière. Cet outil moléculaire – appelé LiTE pour Light-inducible T cell engager – présente une affinité pour ces récepteurs et contient un phytochrome d’origine végétale sensible à la lumière. Son exposition à la lumière rouge entraîne une stimulation du TCR qui mime une interaction avec un antigène. Ce phénomène est réversible, par illumination avec une autre longueur d’onde.

Les chercheurs ont équipé des lymphocytes T murins avec ce dispositif puis, in vitro, ils les ont exposés à de la lumière rouge de façon intermittente ou prolongée. Ils ont ensuite observé les réponses lymphocytaires induites en analysant différents biomarqueurs. « Le système LiTE s’est révélé être un interrupteur moléculaire particulièrement efficace pour mettre en évidence différents programmes d’activation lymphocytaire, constate Rémi Lasserre. Nous avons par exemple été surpris par le fait que la fréquence des stimulations engage différemment deux types de lymphocytes T aux fonctions distinctes, les CD8+ et les CD4+ [une fois activés, les premiers ont une action directe cytotoxique alors que les seconds contrôlent la réponse immunitaire adaptative]. Elle influence aussi profondément le panel de cytokines qui seront produites par les lymphocytes T CD4+. »

Une possible utilité clinique

Les chercheurs ont poursuivi leur travail en adaptant le système LiTE pour tenter de contrôler la destruction de cellules tumorales par les lymphocytes T, toujours in vitro. Pour cela ils ont couplé l’outil à un anticorps spécifique d’un marqueur présent à la surface des cellules de mélanome. Cette construction – appelée LiTE-Me (pour LiTE-Melanome) – permet de rapprocher les lymphocytes T équipés du système LiTE des cellules tumorales placées dans la même boîte de culture, en réponse à la lumière rouge. Son utilisation a induit la destruction de près de 60 % des cellules de mélanome en présence.

Si ce travail est très préliminaire, il laisse entrevoir de nouvelles perspectives dans certains contextes médicaux. « Le système LiTE ne pourrait pas être utilisé tel quel au sein d’un organisme humain. Toutefois, ces expériences démontrent que la lumière pourrait être un outil pour obtenir un ciblage extrêmement précis de l’activité de nos cellules immunitaires. Dans ce contexte, des dispositifs implantables et biocompatibles qui permettraient d’illuminer des zones profondes de l’organisme sont d’ailleurs développés par différentes équipes dans le monde. Le couplage de ce type de dispositif d’illumination et des évolutions du système LiTE optimisées pour les applications in vivo pourrait conduire à la mise au point d’immunothérapies ultra-ciblées dans le temps et dans l’espace, grâce à une activité restreinte à la durée et à la zone d’illumination. On limiterait ainsi les effets indésirables associés à certaines immunothérapies », conclut Rémi Lasserre.


Rémi Lasserre a réalisé cette étude dans l’équipe Dynamique de la membrane et signalisation du lymphocyte T au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML, unité 1104 Inserm/CRNS/Aix-Marseille Université). Il a récemment rejoint le Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM) pour poursuivre ses travaux.


Source : M. Jaeger et coll. Light-inducible T cell engagers trigger, tune, and shape the activation of primary T cells. PNAS, 18 septembre 2023 ; doi : 10.1073/pnas.2302500120

Auteur : A. R.

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