La dépression : un risque pour le cœur ?

Une équipe Inserm vient de mettre en évidence un lien entre état dépressif et facteurs de risque cardiovasculaire. Mieux prendre en charge la dépression pourrait apporter des bénéfices en termes de santé cardiovasculaire.

Malgré une nette diminution depuis deux décennies, l’incidence des maladies cardiovasculaires reste élevée. De plus, l’inflexion constatée semble marquer le pas, en particulier du fait de l’épidémie mondiale d’obésité et de l’augmentation de la tabagie chez les femmes. Ainsi, bien qu’elle reste indispensable, l’action contre les facteurs de risques traditionnels – hypertension artérielle, hypercholestérolémie, obésité, tabac, inactivité physique... – ne semble plus suffisante. « Depuis quelques années a émergé le concept de prévention primordiale, une approche plus en amont qui vise à prévenir l’apparition de ces facteurs de risque » explique Jean-Philippe Empana, responsable d’une équipe Inserm* au Centre de recherche cardiovasculaire de Paris. 

L’hypothèse de la dépression

Parmi les causes possibles, son équipe s’est intéressée à la dépression, faisant l’hypothèse que les personnes présentant des symptômes dépressifs ont du mal à adopter des comportements bénéfiques pour leur santé cardiovasculaire. Il est bien connu que les patients dépressifs souffrent plus de maladies cardiovasculaires que le reste de la populationUne étude américaine récente suggère qu’il s’agirait bien d’un effet amont, la dépression semblant entraîner un mauvais bilan en termes de facteurs de risques. Cette étude porte cependant sur une population particulière, présentant un risque cardiovasculaire élevé. « Nous avons voulu l’étendre au contexte européen – et au système de santé français – avec des sujets en meilleure santé » précise le chercheur. 

L’équipe française a donc utilisé les données d’inclusion de son enquête PPS3 (Paris prospective study III), qui suit pour plusieurs années la santé cardiovasculaire d’une dizaine de milliers de volontaires sains. Ayant retenu 9 417 personnes âgées de 50 à 75 ans (moyenne environ 60 ans), les chercheurs ont évalué leur santé cardiovasculaire avec une méthode proposée en 2010 par l’American Heart Association. Celle-ci repose sur sept critères faciles à mesurer ou évaluer : trois indices biologiques (cholestérolémie, glycémie et pression artérielle) et quatre facteurs comportementaux (consommation de tabac, régime alimentaire, activité physique et indice de masse corporelle). 

Un levier d’action

Première constatation : seuls 10% des volontaires ont une santé cardiovasculaire idéale (au moins 5 critères sur 7 au niveau idéal), un chiffre comparable aux résultats d’autres études européennes ou américaines. Les autres se répartissent en 40% présentant un bilan médiocre (0–2 critères au niveau idéal) et 50% un bilan intermédiaire (3–4 critères au niveau idéal). Par ailleurs, parmi les personnes retenues, environ 10% montraient un niveau élevé de symptômes dépressifs au moment de l’inclusion (dont 5% étaient traités aux antidépresseurs), un chiffre là encore conforme aux études déjà publiées. Confirmant leur hypothèse, les chercheurs ont bel et bien constaté que ces personnes dépressives ont 30% de chances en moins que les autres d’être en santé cardiovasculaire idéale, et que la différence porte essentiellement sur les facteurs de risques « comportementaux ».

« C’est un résultat intéressant car on peut lutter contre les symptômes dépressifs, et donc améliorer indirectement la santé cardiovasculaire d’une part non négligeable de la population » estime Jean-Philippe Empana. Le chercheur rappelle que les états dépressifs, que l’on sait prendre en charge, sont encore sous diagnostiqués. Il insiste cependant sur l’aspect instantané de ces résultats, obtenus à partir des données de recrutement dans la cohorte PPS3. Pour en savoir plus, et en particulier préciser la nature et le sens de la relation entre la dépression et la santé cardiovasculaire, il faudra encore suivre ces personnes pendant quelques années. 

Note

* Unité 970 Inserm/Université Paris-Descartes, Paris-Centre de recherche cardiovasculaire (PARCC), hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), Paris 

Source

B Gaye et coll., High level of depressive symptoms as a barrier to reach an ideal cardiovascular health. The Paris Prospective Study III, Sci Rep du 8 janvier 2016, 

DOI : 10.1038/srep18951