CRESMINA : Comprendre le rôle de l’environnement pour préserver la santé respiratoire des plus jeunes

Au Centre de recherche en Épidémiologie et Santé des Populations de Villejuif (unité Inserm 1018 / Université Paris-Saclay / Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, CESP), Orianne Dumas, chercheuse à l’Inserm, est spécialiste des maladies respiratoires. Dans le cadre du projet CRESMINA, financé par l’Agence nationale de la recherche, elle s’intéresse tout particulièrement aux risques de développer ce type de pathologies chez les enfants, en fonction de la qualité de l’air dans leur environnement pré-scolaire (crèche) et des caractéristiques de leur microbiote nasal.

À l’occasion d’InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, découvrez son parcours et les enjeux de ses travaux qui contribueront à terme à définir de meilleures stratégies préventives en matière de santé respiratoire, notamment contre l’asthme.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Orianne Dumas : Je me suis intéressée aux maladies respiratoires dès mon doctorat en santé publique, réalisé au CESP et à l’Université Paris-Sud, dédié aux facteurs de risque professionnels liés à l’asthme. Par la suite, je suis partie à Boston (États-Unis) pour mon post-doctorat, cette fois-ci dédié à l’exposition professionnelle à certains produits de nettoyage sur une population d’infirmières.

En 2017, j’ai officiellement été recrutée à l’Inserm en tant que chargée de recherche, à l’époque dans le laboratoire dirigé par Joël Ankri. L’équipe a intégré le CESP en 2020 ; mes travaux actuels sont dans la continuité des précédents et dédiés à l’étude des effets de l’exposition à des produits chimiques et irritants sur la santé respiratoire. Plus précisément, je m’intéresse aux facteurs de risque modifiables de deux pathologies, l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, ou BPCO.

Qu’est-ce qui vous motive dans ces recherches ?

O. D. : L’asthme et la BPCO sont les pathologies respiratoires chroniques les plus fréquentes. En France, l’asthme touche 10 à 15% des enfants et 5 à 10% des adultes, et est associé, en particulier quand il est mal contrôlé, à une morbidité accrue, à une diminution de la qualité de vie, et à un coût économique important pour les patients et la société. La BPCO touche quant à elle 5 à 10% des adultes de plus de 45 ans, et représente la 3ème cause de mortalité dans le monde. En identifiant les déterminants de ces maladies, tant de leur apparition que de leur évolution, j’ai bon espoir de contribuer à l’amélioration des mesures de prévention tant primaire, visant à limiter l’apparition de la maladie, que secondaire, pour en freiner l’évolution et les conséquences, par exemple via une diminution des expositions chimiques au travail et dans différents lieux de vie (domicile, crèches…).

Au quotidien, mes travaux portent précisément sur l’exposition aux produits de nettoyage et de désinfection, très fréquente tant au travail que dans la vie de tous les jours. Je m’intéresse à leur impact tout au long de la vie, de la petite enfance à l’âge adulte. Mon objectif est de caractériser les effets de ces composés chimiques et parfois irritants dans l’asthme et la BPCO, mais aussi préciser les mécanismes sous-jacents, notamment le rôle du microbiote respiratoire. Car notre système respiratoire, comme l’intestin, a son microbiote unique !

Le projet CRESMINA s’inscrit donc dans ce contexte ?

O. D. : Tout à fait. Ce projet se concentre sur la petite enfance, qui est une période clé pour la santé humaine. Récemment, les preuves d’un rôle des communautés microbiennes dans l’asthme ont été renforcées grâce au développement d’approches qui caractérisent les microbiotes humains et ceux de l’environnement. Le projet CRESMINA porte sur les crèches, un environnement où beaucoup de jeunes enfants passent une grande partie du temps, et qui pourrait impacter le risque d’asthme.

L’objectif premier est d’étudier les relations entre l’environnement en crèche, le microbiote nasal, et la santé respiratoire des jeunes enfants. Nous avons recruté à l’heure actuelle plus de 500 enfants fréquentant des crèches franciliennes, qui ont été inclus grâce à la cohorte CRESPI, un projet innovant impliquant l’Inserm, mais aussi d’autres acteurs publics et privés.

Par exemple, des échantillons de poussière ont été collectés dans la centaine de crèches impliquées, ce qui nous a aidé à déterminer le microbiote environnemental en caractérisant le microbiote bactérien de ces poussières. Nous avons également relevé diverses caractéristiques de ces établissements : nombre d’enfants accueillis, caractéristiques du bâtiment, pratiques de nettoyage… Des échantillons de mucus nasal des enfants âgés de moins d’un an à l’inclusion ont été collectés par leurs parents à domicile à l’aide de kits, et un second recueil a été réalisé à l’âge de 24 mois. Ces échantillons vont être analysés pour caractériser leur microbiote nasal. Ils ont également complété des questionnaires portant sur la santé respiratoire des enfants, et d’autres sont prévus afin de suivre et comprendre cette évolution au cours du temps.

Toutes ces données aideront à déterminer les associations entre les expositions en crèche et les profils de microbiote nasal, ainsi qu’entre les profils de microbiote nasal et la santé respiratoire. Notamment déterminer si certaines compositions du microbiote, ou la présence de certaines bactéries spécifiques, est délétère ou bénéfique pour la santé des enfants. Nous cherchons également à déterminer s’il existe un rôle de modulateur du microbiote nasal dans l’association entre l’exposition en crèche et la santé respiratoire, c’est-à-dire si certaines compositions du microbiote, plus bénéfiques ou plus délétères modifieraient l’impact des expositions en crèche sur l’asthme.

Quelles pourraient être les applications thérapeutiques découlant de vos résultats ?

O. D. : Le microbiote respiratoire est vu comme l’une des cibles les plus prometteuses pour moduler le risque d’asthme chez les enfants particulièrement à risque. Or, les premières années de la vie sont considérées comme une fenêtre pertinente pour envisager des actions préventives contre développement de l’asthme. Déterminer les relations entre l’environnement en crèche, le microbiote respiratoire et la santé des enfants s’avère essentiel pour développer des stratégies de prévention ciblées. Celles-ci peuvent prendre la forme d’interventions sur l’environnement intérieur (par exemple, changement des pratiques de nettoyage ou d’aération) ou, à plus long terme, d’un éventuel développement de stratégies thérapeutiques ciblant le microbiote respiratoire.

Vous semblez passionnée. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier de chercheuse ?

O. D. : Cette liberté que nous avons de développer nos propres hypothèses, et de créer des projets afin de les tester… À condition bien sûr qu’ils soient réalisables, fondés sur des hypothèses originales et aient un potentiel impact bénéfique sur la santé publique. 

J’aime aussi m’impliquer dans des projets au long terme : il y a souvent plusieurs années entre le moment où l’on commence à développer une étude à partir d’une idée et les premiers résultats, en passant par la recherche de financements et la collecte de données et leurs analyses. Quand nous obtenons des résultats intéressants et originaux après tout ce temps, la satisfaction est donc immense !